Unesco

Le débat sur les trafics illicites s’intensifie dans les pays de transit du marché de l’art

En Belgique et en Suisse, des parlementaires appellent à un commerce équitable des biens culturels, tandis que l’ avenir de la collection du Dr Rau, donnée à l’Unicef, est suspendue à une décision de justice

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 28 juin 2002 - 3337 mots

Les conventions Unesco et Unidroit continuent d’opposer pays sources et pays acheteurs. Dans un débat aux enjeux à la fois politiques et économiques, deux des principales plaques tournantes du marché, la Belgique et la Suisse, semblent aujourd’hui faire évoluer leurs positions. Revue de détail.

PARIS - La géographie de la protection du patrimoine était jusqu’à une période récente à l’image des circuits de commerce licites ou illicites des biens culturels. On pouvait la lire sur une carte du monde en relevant les États qui avaient adhéré à la convention de l’Unesco adoptée à Paris en 1970. Les pays sources, presque tous pauvres et souvent victimes de pillages passés ou présents, adhéraient sans états d’âme (et souvent sans moyen de les faire respecter) aux conventions internationales de protection. Les pays acheteurs (dont les États-Unis) presque tous riches et généralement épargnés par les prélèvements illicites se montraient au mieux indifférents.

Les pays plaques tournantes des commerces étaient hostiles. Pendant longtemps, le débat était presque idéologique : la convention Unesco de 1970 avait été adoptée à l’époque des blocs et ceux qui n’en voulaient pas relevaient que derrière les préoccupations affichées par la convention de 1970, il y avait un tiers-monde peu ou prou manipulé par le bloc soviétique. Les équilibres stratégiques ont changé et les États-Unis, pourtant peu suspects de complaisance à l’égard de l’Unesco, ont adhéré à la convention de Paris. Ils l’ont certes accommodée à leur mode d’action diplomatique par des accords bilatéraux, mais la disparition du rempart américain – de très loin le premier importateur mondial – a mis en première ligne les autres États.

Ainsi, la France, à la fois réservoir et marché, qui avait traîné les pieds pendant des années (au gré des lobbyings et/ou des humeurs administratives, il a fallu treize ans après la loi approuvant la convention pour que les instruments de ratification aillent de la Place Vendôme jusqu’aux bureaux de l’Unesco, à Paris). Sur ces entrefaites, l’administration française avait pu constater que les États-Unis avaient installé la convention dans sa diplomatie africaine, par exemple en passant un accord pour la protection des biens culturels du Niger. Après la “défection” américaine, le front du refus a réarticulé ses zones et lignes de défense : plus loin de la diplomatie, plus près du commerce. Le Benelux et la Suisse, plaques tournantes des marchés occidentaux, sont, depuis, en première ligne.

De récentes prises de position manifestent l’évolution de ces États mais aussi les difficultés pour arbitrer entre les intérêts publics et privés qui s’entrecroisent dans les grandes collections.

Un parlementaire belge prend l’initiative
Le sénateur François Roelants du Vivier veut agir pour que la Belgique cesse d’être le “mauvais élève” de la communauté internationale et un “paradis” des trafics de biens culturels. Il estime que l’image internationale de son pays est dégradée par son apathie face aux trafics de biens culturels relayant, selon lui, les trafics internationaux (drogue, armes, prostitution) et le blanchiment d’argent.

Pour cela, il propose de modifier la législation nationale sur le recel. Il relève que la loi belge, “contrairement à celle des pays voisins, est très faible concernant la détention d’objets volés. Il suffit de laisser les marchandises volées dormir pendant cinq ans ; ensuite elles peuvent être vendues tout à fait légalement”. En effet, en Belgique, le recel est un délit instantané, la prescription de cinq ans courant dès l’entrée en possession du bien. Dans les États voisins, le délit est continu, et la prescription ne jouera qu’après que le receleur se sera défait de l’objet.

Outre la modification de cette disposition, François Roelants du Vivier voudrait que les revendeurs d’art soient astreints à la tenue d’un registre détaillé relevant l’origine des objets. Cette disposition, figurant dans la convention Unesco de 1970, est déjà appliquée dans de nombreux pays européens (Allemagne, Italie, Danemark, Espagne, Autriche). En France, ce qu’on appelle le “livre de police”, existe depuis la fin du XIXe siècle... C’est un élément clé pour le contrôle des trafics mais aussi pour permettre aux revendeurs d’établir leur bonne foi si un objet volé se retrouve entre leurs mains.
Le parlementaire pointe aussi la faiblesse des moyens de la police belge spécialisée, qui ne compte que trois personnes. Il voudrait que l’effectif du service soit porté à quinze, ce que lui semble justifier l’enjeu : chaque année, 12 à 14 000 œuvres d’art sont volées en Belgique et 5 % seulement sont retrouvées, pour une moyenne de 12 % dans les pays voisins.

Enfin, le sénateur dénonce l’inertie gouvernementale sur l’adoption des conventions internationales. Une motion demandant la ratification des conventions Unesco et Unidroit a donc été déposée au Sénat. Et, pour inscrire son action dans le débat international, François Roelants du Vivier s’associe à une pétition internationale pour le retour en Grèce des marbres du Parthénon (source : museum-security.org).

La Suisse entre ses idéaux, ses ports francs et ses collectionneurs
En marge des efforts pour intégrer en Suisse un ordre public international protégeant les biens culturels, le litige autour d’un grand collectionneur montre la difficulté de conjuguer les intérêts publics et les passions privées.

Pour un “commerce équitable” des biens culturels
L’office fédéral suisse de la Culture (OFC) a diffusé en mai un numéro spécial titré : Commerce des biens culturels redéfinir les règles du jeu. En marge d’un “état des lieux d’un commerce milliardaire”, l’éditorial d’Andréa Rascher, chef du service Droit et affaires internationales de l’OFC, installe la question en ces termes : “La Suisse, une des plus importantes places mondiales sur le marché des arts, est régulièrement le théâtre de telles transactions (illicites), s’attirant ainsi les soupçons d’être une plaque tournante pour le transfert illicite de biens culturels. Aussi, il est urgent qu’elle se donne enfin une législation incisive pour protéger le patrimoine culturel national et étranger.”

Cela n’a pas été une mince affaire ! Trente ans se seront écoulés avant que le Conseil fédéral ne propose au Parlement de ratifier la convention de l’Unesco de 1970 et d’adopter une loi sur le transfert international des biens culturels (LTBC). Il faut dire que parmi les collectionneurs, les gens de musée et les marchands a longtemps régné l’opinion selon laquelle les mécanismes d’autorégulation du marché suffisaient à empêcher les abus. Le débat sur l’art spolié à l’époque de la Seconde Guerre mondiale qui a secoué la Suisse ces dernières années a crûment prouvé le contraire. L’éditorial se conclut sur “les chances de parvenir à un commerce équitable en la matière”.

Un conseiller national, Hans Widmer, pose ainsi la question à propos du projet de loi sur le transfert des biens culturels (LTBC) à l’étude en Suisse : “les transactions d’objets d’art font partie intégrante d’un monde globalisé et multiculturel et sont l’un des fondements de la compréhension interculturelle et du respect mutuel. Mais nul n’ignore que le transfert de biens culturels a aussi ses zones d’ombres, où il n’est plus question d’échanges librement consentis mais de vols et de pillages, de crime organisé et de blanchiment d’argent. À ce jeu-là, il y a d’un côté les perdants et les démunis, de l’autre les gagnants et les profiteurs”.

Et concernant les textes en cours d’examen en Suisse : “...il faut absolument que l’obligation d’informer les autorités soit également appliquée au commerce d’art. Cette déclaration obligatoire devrait s’inspirer de celle de la loi sur le blanchiment d’argent (...). Car on sait bien que la finance n’est depuis longtemps plus la seule officine de blanchiment et que d’autres filières ont entre-temps également pris le relais... Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’Union européenne (UE) a soumis le commerce d’art aux dispositions concernant le blanchiment. L’UE s’est ainsi dotée d’une législation consistante en matière de transactions financières et de transactions d’objets d’art, deux domaines notoirement exposés aux agissements criminels. Cette législation sert d’ailleurs également les intérêts du marché de l’art [car] le commerce d’art doit avoir la possibilité de se tenir à l’écart de ces agissements et d’en apporter la preuve au public”.

Le tribunal fédéral suisse a ouvert la voie
Il y a quelques années, le tribunal fédéral (1re cour de droit publique) avait décidé la restitution aux autorités françaises d’un tableau de Desportes volé en août 1994 en France et acheté par un collectionneur dans le port franc de Genève.

Dans son arrêt rendu le 1er avril 1997, la cour avait mentionné les conventions Unesco et Unidroit en relevant que”ces normes, qui relèvent d’une commune inspiration, constituent autant d’expressions d’un ordre public international en vigueur ou en formation” dont l’arrêt estimait qu’il primait sur les prescriptions de droit national.

La cour avait en l’espèce validé une ordonnance du canton de Genève qui avait estimé que l’acheteur “n’avait pas rendu vraisemblable qu’il avait acquis de bonne foi le tableau volé [car...] il ne s’était soucié ni de l’authenticité, ni de la provenance du tableau (...) prenant le risque de traiter avec des inconnus et ne s’étant assuré de la régularité de l’importation du tableau en Suisse (...) qu’après la conclusion de la transaction et le versement du prix convenu [et] n’avait pas [donc] pas pris les précautions élémentaires dont doit s’entourer la personne prudente qui acquiert une œuvre d’art de grande valeur...”

Pour fonder la procédure, la cour fédérale s’était également appuyée sur la convention du Conseil de l’Europe du 8 novembre 1990 relative “au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime”.

Paradoxalement, c’est la critique d’une décision du même tribunal fédéral suisse qui fonde une action récemment lancée devant la Cour européenne des droits de l’homme à propos des collections du Dr Rau.

La Suisse devant la Cour européenne des droits de l’homme
Quelques mois après la mort du Dr Rau, médecin, collectionneur et mécène, les avocats de l’ancien curateur de la Fondation Rau pour le tiers-monde demandent à la Cour de condamner l’État fédéral suisse pour avoir permis selon eux la dispersion de ses collections. Une action parallèle est conduite par les anciens curateurs de deux autres fondations du Dr Rau.

Cette affaire est née de contestations judiciaires autour de la santé mentale du mécène vieillissant, créant un imbroglio juridique dénoué par une intervention des autorités suisses que les demandeurs qualifient aujourd’hui “d’immixtion abusive” ayant conduit à la sortie des collections Rau de Suisse et à leur remise à la section allemande de l’Unicef.

Paradoxes en chaîne
Il y a de multiples paradoxes dans les recours introduits devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le plus spectaculaire, c’est le reproche adressé aux autorités fédérales suisses d’avoir fait sortir d’un port franc la collection pour lui permettre de s’exposer au Japon, puis à Paris et enfin d’être donnée à l’Unicef le 4 septembre 2001. Itinérance respectable, mais qui, selon les demandeurs, aurait dispersé la collection et en rendrait le récolement problématique.

Le deuxième a tenu à l’état de santé du Dr Rau. L’attention que les praticiens, les juges et les avocats ont porté à ce médecin du tiers-monde durant les dernières années de sa vie a moins tenu à son honorable personne qu’à ces collections : 756 œuvres représentant plusieurs centaines de millions d’euros. Ce pactole artistique a aiguisé intérêts et procédures, jusqu’à susciter des décisions judiciaires contradictoires sur le droit du Dr Rau à décider de son devenir.

Le troisième tient à la complexité des montages juridiques construits autour des nobles desseins du Dr Rau. Quatre fondations, trois en Suisse, une au Lichtenstein, récapitulaient ses intentions : la Fondation médicale, créée en 1971 pour “soulager misère et la maladie (...)”, la Fondation d’art du Dr Rau, créée en 1985 pour “l’encouragement de l’art en formation (...) et du métier artistique... ”, la Fondation Rau pour le tiers-monde, née en 1986 “pour pourvoir aux besoins vitaux de base de la population dans la misère du tiers-monde...” Enfin, la Fondation Crelona créée au Lichtenstein en 1985, qui semble avoir été décidée au bénéfice du Dr Rau lui-même ; destinée à prendre en charge des coûts d’entretien et d’assistance en cas de vieillesse et de maladie, elle avait un caractère “viager” puisque, au décès du Dr Rau, elle devait être liquidée et ses actifs dévolus à la Fondation Rau pour le tiers-monde.

Passions privées, intérêts publics, exigences nationales
La situation particulière de la Fondation Crélona, qui avait reçu donation d’une grande partie des collections, autoriserait deux considérations sur les intentions du Dr Rau : entre ses deux passions – l’art et l’assistance aux déshérités –, le Dr Rau pensait peut-être donner le dernier mot à celle-ci. Dans cette optique, la donation qu’il a consentie à l’Unicef serait une ultime synthèse ; tout en transférant l’essentiel de ses collections à des fondations, le Dr Rau aurait néanmoins décidé d’en conserver la disposition. Humainement compréhensible, l’intention peut sembler, surtout vue de France (1), juridiquement contradictoire et explique peut-être le dernier paradoxe de la cause.

En effet, ceux qui se présentent devant la Cour européenne ne sont pas les administrateurs ou membres des conseils des fondations mais les anciens curateurs des fondations, juristes désignés pour en assurer l’administration provisoire lorsque des doutes avaient surgi sur l’état de santé du Dr Rau. Et leurs griefs contre l’administration fédérale suisse se fondent tout à la fois sur des décisions ou injonctions de cette administration conduisant à la sortie des collections de Suisse, mais également à la révocation de leur fonction de curateurs, aboutissant à la restauration juridique des droits du Dr Rau sur ses collections. Et il faut le talent du professeur Jean Lalive pour donner du crédit à d’ex-curateurs , décidés à démontrer que l’autorisation donnée par le Dr Rau pour sortir ses collections d’un port franc et les montrer au monde, puis les donner à l’Unicef, ne serait que le produit d’une immixtion abusive de l’exécutif fédéral couverte par une justice fédérale suisse expéditive…

Qu’est-il reproché aux autorités fédérales ?
Ce serait d’avoir manqué aux dispositions du droit suisse qui placent les fondations “sous la surveillance de la corporation publique (Confédération, cantons, communes) dont elles relèvent par leur but” et fait obligation à “l’autorité de surveillance (de) pourvoir à ce que les biens des fondations soient employés conformément à leur destination” (article 84 du Code civil suisse).

Des décisions de justice, prises à Monaco et en Suisse en 1998 et 1999 avaient constaté la possible altération des facultés mentales du Dr Rau. Les juges avaient décidé des mesures de protections : administrateur judiciaire à Monaco, curatelle sur les fondations en Suisse et mise sous scellés de la collection d’art entreposée dans un port franc. Le tribunal fédéral avait confirmé la protection juridique du mécène. L’autorité de surveillance – le département fédéral de l’Intérieur – ordonnait donc en 1999 la révocation d’une donation partielle faite en 1998 en faveur de l’Unicef allemande puis l’interdiction aux membres des conseils des fondations de tout acte de disposition (vente) et un inventaire des collections.

L’arrêt du tribunal fédéral suisse était, il est vrai, catégorique : “au vu des comportements constatés des conseils des fondations, répétés, variés et pour partie graves, contraires à l’ordonnance de l’autorité de surveillance du 13 janvier 1999 (...), l’administration des biens conforme au droit doit être considérée comme mise en danger et les conditions d’une curatelle doivent être considérées comme remplies (...). Une fortune considérable est en jeu qui est destinée à des buts d’intérêt général. Par conséquent, la gestion, contraire à son but, de la fortune, touche à des intérêts publics importants”.

Pourtant, le département fédéral de l’Intérieur suisse autorisait en septembre 1999 l’exposition au Japon de 106 œuvres. Les avocats de l’ancien curateur de la Fondation Rau pour le tiers-monde considèrent que “l’autorité fédérale disposait ainsi, sans droit, de biens donnés à une fondation étrangère (la Fondation Crélona) et sous la garde d’une fondation suisse sous sa protection”. Les demandeurs pointent une “volte-face” des autorités suisses résultant selon eux de pressions diplomatiques. Le dossier soumis à la Cour européenne relate dans ce sens une réunion “secrète”, au cours de laquelle il aurait été exposé que la Suisse devait suivre l’avis d’un tribunal allemand (Baden-Baden, où résidait alors le Dr Rau) qui avait jugé le 20 septembre 2000 que des mesures de protection juridique ne s’imposaient pas. Ce jugement validait donc les actes du Dr Rau en particulier son accord pour l’exportation et l’exposition des œuvres, et plus tard la confirmation de leur donation à l’Unicef.

Les demandeurs n’expliquent pas si l’intervention prêtée à l’Allemagne aurait d’autres motifs que celui d’un État exerçant son droit de requérir d’autorités étrangères l’exequatur d’un jugement de ses tribunaux. En revanche, ils contestent la portée définitive du jugement de Baden-Baden, dont ils estiment qu’il laissait subsister les décisions judiciaires antérieures.

Toutefois, en relatant la donation ultérieure par le Dr Rau d’une grande partie des collections à la section allemande de l’Unicef (donation du 4 juillet 2001, annoncée le 4 septembre), leur dossier esquisse un motif : l’intérêt de voir les collections partir vers l’Allemagne. Situation évidemment mal ressentie en Suisse : “Berlin a fait plier Berne”, titrait un article de presse suisse du 21 juin 2001, annexé au dossier.

Si les demandeurs se retournent in fine vers la Cour européenne des droits de l’homme, c’est parce qu’ils ont épuisé les voies de droit en Suisse. En effet, le dernier arrêt du tribunal fédéral du 10 juillet 2001 qui a rejeté leurs recours n’est pas susceptible d’appel.

La Cour devra décider si, dans cette affaire, la Suisse a manqué à des droits fondamentaux : le département fédéral de l’Intérieur par des actes dont les demandeurs estiment qu’ils sont contraires au droit suisse régissant les fondations et la Justice fédérale en refusant de les censurer au terme d’une procédure que les demandeurs estiment inéquitable. Exercice difficile dans une affaire où la Cour devra trancher deux argumentations juridiques qui l’une et l’autre se disent respectueuses des objectifs d’intérêt général poursuivis par le mécène et des droits de sa personne, tout en faisant une lecture contradictoire de ses actes. Mais la Cour devrait pouvoir débarrasser la cause de ces scories en rappelant que son rôle n’est pas seulement d’énoncer des principes mais de régler concrètement des manquements aux droits de l’homme.

Dans cette affaire, les questions légitimes sur les limites de “l’immixtion” fédérale dans les affaires des fondations relayent des questions sur la propriété des collections dont les motivations sont plus ambiguës. Or, même si la Cour jugeait que les autorités fédérales suisses ont commis un manquement, et en déduisait des sanctions, elle rendrait son arrêt inefficace si elle en étendait les effets aux collections.

Comment les demandeurs pourraient-ils en effet décider de l’affectation des collections aux objectifs fixés par le Dr Rau, si on reconstituait leurs pouvoirs de curateurs ? Leur mission, qu’ils revendiquent contre l’État fédéral, consistait à confiner les œuvres dans un port franc. Un arrêt qui les rétablirait rétroactivement dans ces fonctions, ne leur permettrait que de transformer cette mesure provisoire en un enfermement définitif, qui violerait non seulement les droits fondamentaux du Dr Rau, mais également celui de ses fondations, et ceux des générations à venir et des artistes qui ont créé les chefs-d’œuvre.

1. Pour la France, ce type de montage, qui associe étroitement le fondateur et ses fondations, ses idéaux et ses intérêts, est quasiment incompréhensible : notre conception unitaire du patrimoine ne s’accommode que de situations tranchées. En outre, l’idée que l’intérêt général soit mise en œuvre par des personnes de droit privé est suspecte en France.

La situation actuelle des collections du Dr Rau

Le Dr Rau a fait donation en juillet 2001 de 622 œuvres à la section allemande de l’Unicef. Et il lui a légué également le reste, soit 122 pièces. Deux œuvres ont été vendues. Les plus belles pièces des collections ont été exposées au Japon, à Paris et Rotterdam et prochainement à Bogota. Les opérations sont conduites par une entreprise spécialisée, sous contrôle d’une commission consultative de l’Unicef. Le reste de la collection, y compris les pièces couvertes par le legs du Dr Rau à l’Unicef, en cours de dévolution (le Dr Rau est mort en janvier 2002 à Stuttgart), est conservé en Allemagne sous le contrôle de l’Unicef.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°152 du 28 juin 2002, avec le titre suivant : Le débat sur les trafics illicites s’intensifie dans les pays de transit du marché de l’art

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