Créée en 2002, Artcurial fête cette année ses vingt ans. Discret dans les médias, le président-directeur général du groupe nous livre en exclusivité sa vision.
Il est difficile de résumer vingt ans d’activité en quelques mots, mais c’est d’abord une aventure, à ma connaissance, unique. À l’époque, Francis Briest et Hervé Poulain sont venus me parler des ventes aux enchères, secteur que je ne connaissais pas, à l’issue de quoi je leur ai présenté un projet. Nous avons démarré petit, avec une équipe d’une vingtaine de personnes pour un résultat d’une vingtaine de millions d’euros. Vingt ans plus tard, Artcurial est devenue la grande maison de ventes aux enchères françaises, avec environ 200 millions d’euros de ventes annuelles et près de cent cinquante personnes. Surtout, la maison de ventes Artcurial a été à la base de la constitution d’un groupe plus global, de près de six cents personnes, d’intermédiation de biens d’exception, qui comprend le groupe John Taylor (spécialisé dans l’immobilier de luxe) et Arqana (société de vente aux enchères de chevaux, pour laquelle nous sommes coactionnaires avec son altesse l’Aga Khan). Ce positionnement peut sembler moins novateur aujourd’hui, mais il l’était quand nous avons démarré ! Artcurial est de très loin la plus jeune des grandes maisons de ventes aux enchères, or elle est parmi les premiers acteurs internationaux dans les ventes de Fine Art. Par ailleurs, les vrais chiffres sont ceux consolidés du groupe. Si vous additionnez les résultats d’Artcurial et d’Arqana, nous sommes alors la première maison de ventes française.
Le marché de l’intermédiation, pendant et après le début de la crise de Covid-19, a très bien fonctionné, et pas seulement pour nous : grands et petits acteurs des ventes aux enchères se sont tous très bien débrouillés. En ce qui nous concerne, notre positionnement nous a servis. Ce positionnement, c’est et cela restera les ventes de biens qui représentent un investissement plaisir et de partage. Ces biens ont formidablement résisté et continuent de bien résister à la crise. Toutefois, nous sentons depuis peu de temps une plus grande sélectivité des clients du marché de l’art. Les prix doivent être bien ajustés.
Je suis assez réservé sur la « guerre des chiffres » très française. Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de sens à comparer une PME (Artcurial) et un duopole qui se mène une compétition historiquement féroce. Christie’s et Sotheby’s sont des entreprises globales, avec des dimensions et des problématiques différentes des nôtres. Mais je n’ai pas d’inquiétude particulière : la concurrence a toujours été rude, particulièrement en France où il ne faut pas oublier les autres acteurs, petites maisons de ventes et commissaires-priseurs, qui font la spécificité du marché français. Je rappelle que nous avons un actionnaire de référence à nos côtés, le groupe Dassault, qui nous accompagne depuis le premier jour où nous avons racheté la galerie Artcurial à L’Oréal. Artcurial est une entreprise 100 % indépendante, qui a toujours gagné de l’argent, avec un cash flow positif. Nous sommes très attachés à notre modèle économique. Ce modèle est vertueux dès lors que nous couvrons divers domaines avec une gamme assez large, tout en restant positionné sur le haut de gamme. Le marché des ventes n’est pas linéaire, il faut lisser les risques.
Nous faisons notre métier avec un mix de tradition et de modernité. Nous travaillons avec des outils d’aujourd’hui, tout en le faisant de manière humaine. Grâce à cela, je crois que nous sommes au moins aussi bons que les meilleurs. Parmi nos outils, il y a bien sûr notre bâtiment emblématique du rond-point des Champs-Élysées, l’hôtel des ventes Marcel Dassault, qui nous a sans doute beaucoup aidés. Mais je crois que nous avons aussi une façon différente de travailler, probablement plus européenne dans nos arguments, notre vision, notre organisation, l’accompagnement de nos clients comme dans notre discrétion. Nous ne sommes pas non plus une équipe de foot : chez Artcurial, le comité exécutif est composé de personnes qui sont quasiment toutes là depuis le premier jour. Est-ce mieux ou moins bien ? En tout cas, cela ne nous a pas trop mal réussi…
Nous continuerons à cultiver une forme de différence : d’abord parce que c’est dans notre culture et, si je suis franc, parce que nous n’avons pas le choix. La vie face à un duopole n’est pas toujours facile, il faut l’avouer. Quelle idée saugrenue nous avons eue de monter une maison de ventes en Afrique, au Maroc ! Quelle idée, aussi, d’investir à Monaco quand toutes les maisons de ventes avaient déserté la place ! Dans les mois ou les années à venir, nous irons, par création ou par acquisition, sur des marchés étrangers où nous pourrons trouver une différenciation. À ce titre, l’Europe du Nord est une région du monde qui peut nous intéresser, tout en continuant à nous renforcer en France.
Je ne sais pas répondre à cette question. Le pire n’est jamais sûr. Il s’est passé tellement de choses depuis deux ans, y compris de grands malheurs chez nous avec la disparition de François Tajan. Maintenant, je reste très optimiste. D’abord, il y a en mains privées, au niveau mondial, des moyens financiers très importants. Ensuite, le marché de l’art est un marché flat, où l’offre n’évolue quasiment pas, contrairement à la demande. Sauf catastrophe, je suis serein sur les biens qui permettent aux populations très aisées d’investir, tout en se faisant plaisir et en partageant ce plaisir. Le partage est une donnée nouvelle : beaucoup des biens d’exceptions proposés par le groupe Artcurial (un tableau, un cheval, une maison ou une voiture de collection) offrent cette possibilité de partage avec sa famille, ses amis, etc.
Certains commissaires-priseurs se demandent si, dans cinq ans, leur métier existera toujours et ne sera pas remplacé par le digital. Chez Artcurial, nous faisons encore le pari de l’humain et des ventes physiques.
Je n’aime pas le terme de stratégie, derrière lequel vous pouvez mettre tout ce que l’on a envie d’entendre. Mais notre « stratégie » reste la même : garder notre indépendance économique grâce à un positionnement large et une gamme assez profonde. Si nous nous développons à court terme, je pense que cela sera par des acquisitions dans notre secteur d’origine, les ventes aux enchères. Car nous allons continuer à faire notre métier : l’intermédiation de biens d’exception, dans certains cas par des ventes aux enchères (Artcurial, Arqana…), dans d’autres cas par des ventes à prix fixes. Pour le secteur du Fine Art, je continue à croire dans les ventes à prix variables. Les ventes aux enchères resteront un axe de développement pour des raisons de transparence, de puissance des acteurs, de mondialisation, etc. En revanche, sur le digital, nous avons la conviction de donner la priorité aux prix fixes. C’est ce que nous faisons avec Collector Square.
J’ai toujours aimé les beaux objets, et j’ai toujours travaillé dans des entreprises qui m’ont permis d’avoir une relation à la beauté. J’ai évidemment, comme tout le monde, un goût, et je collectionne un peu – difficile, quand on fait mon métier, de ne pas tomber dans la marmite !
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Nicolas Orlowski : « Artcurial fait le pari de l’humain »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°757 du 1 septembre 2022, avec le titre suivant : Nicolas Orlowski : Artcurial fait le pari de l’humain et des ventes physiques