FRANCE
Dans le sillage de Christie’s et Sotheby’s, plusieurs opérateurs français ont noué des partenariats avec des agences immobilières de luxe. Le point sur les synergies espérées et avérées.
Pour garnir son nouvel hôtel particulier dans les quartiers chics de la capitale, son acquéreur voudra peut-être s’offrir un tableau de maître ou ce lampadaire dit La Religieuse, de Pierre Chareau qu’Artcurial vendra le 1er décembre, estimé 300 000 à 500 000 euros. Le quotidien du commissaire-priseur n’est-il pas de réaliser l’inventaire des biens mobiliers d’un appartement qui, dans certains cas, va être vendu ?
Le mariage de ces deux activités – ventes aux enchères et immobilier – semble pertinent : elles partagent le même métier, celui de l’intermédiation de biens haut de gamme, et souvent la même clientèle internationale. « L’art et l’immobilier se superposent. Les collectionneurs exposent leurs objets de collection dans leur maison, dont ils sont tout aussi fiers », commente Dan Conn, président de Christie’s International Real Estate.
Le rapprochement de ces deux secteurs ne date pas d’hier. Les anglo-saxons Sotheby’s et Christie’s l’ont déjà fait depuis longtemps. Sotheby’s a été la première à fonder son département immobilier en 1976. « L’idée était de vendre le bien en même temps que les collections et/ou successions de ses clients », se remémore Alexander Kraft, président de Sotheby’s International Realty. Sotheby’s avait alors ses propres agences ainsi que des agences affiliées. En 2004, il a été décidé de séparer les deux activités et c’est à ce moment-là qu’a été introduit le modèle de franchise. « Aujourd’hui encore, chaque franchisé entrant au sein du réseau est validé par la maison de ventes et cette dernière reçoit des royalties », explique le PDG. Les deux entités sont indépendantes mais continuent de collaborer [voir encadré ci-dessous].
Et Christie’s International Real Estate, de son côté, est la branche immobilière de luxe de Christie’s, une filiale créée en 1995 suite à l’acquisition de Great Estates, un réseau immobilier fondé en 1987. Cette filiale est pleinement intégrée dans la maison de ventes puisque ses bureaux sont situés dans son siège social. « Nos biens immobiliers sont exposés ici et lors des grandes ventes aux enchères de Londres, Paris, Genève... », explique Dan Conn. Le réseau couvre désormais 48 pays et a enregistré environ 500 milliards de dollars (422 Md€) de transactions immobilières au cours des cinq années passées.
Si le phénomène n’est pas nouveau, il tend à se développer ces derniers temps, sous différentes formes. En 2017, Artcurial a racheté le groupe John Taylor, l’un des plus importants réseaux immobiliers de luxe dans le monde, fondé en 1864 à Cannes et dont la maison de ventes était partenaire depuis 2013. « Cette acquisition a été financée en intégralité sur fonds propres », avait alors annoncé Nicolas Orlowski, PDG du groupe Artcurial, qui a depuis pris la présidence de John Taylor, succédant à Delphine Pastor. L’activité est lucrative puisqu’en 2019, John Taylor a totalisé 1 milliard d’euros de ventes (contre 203 millions pour les ventes aux enchères).
Tajan lui a emboîté le pas en septembre 2019, mais cette fois-ci, sous la forme d’un partenariat exclusif noué avec Émile Garcin, un autre grand acteur de l’immobilier de luxe, fondé en 1963. Concrètement, la collaboration se fait par le biais de rencontres (journées d’expertises) au sein des agences Émile Garcin. « Nous en avons organisé dans nos bureaux de Neuilly, Deauville, Bordeaux, Aix et Mougins. Celles qui nous ont apporté le plus de contacts sont Aix et Mougins », raconte Nathalie Garcin, présidente du groupe.
Fin octobre, Drouot annonçait se lancer dans l’aventure, avec la création d’une filiale (au même titre que la Gazette) : Drouot immobilier. Le projet se développera en association avec Nicolas Hug, spécialisé dans l’immobilier de collection.
Les raisons de ces alliances sont multiples. Quoi de plus naturel que de « créer des passerelles entre les murs d’une demeure d’exception et son décor ? », lance Romain Monteaux-Sarmiento en charge de la communication chez Tajan. Si pour l’un et l’autre secteur, la conquête de nouveaux clients est un impératif et la porosité de la clientèle manifeste, d’autres considérations ont présidé à ces noces. Apporter une offre globale et complémentaire à leurs clients en fait partie, les deux acteurs mettant en commun leurs moyens et leurs ressources pour créer des synergies communes. « Comme pour les Beaux-arts, bijoux, montres ou vins, la commercialisation de ces propriétés exige un ensemble de compétences spécialisées, que Christie’s a maîtrisées au cours de ses 254 ans d’histoire », indique Dan Conn.
Dans le cadre d’un partenariat comme celui de Tajan et Garcin, la combinaison des deux activités débouche, pour leurs clients respectifs, sur la possibilité de recourir à une palette de services globale et pluridisciplinaire : des estimations ou expertises gratuites de leurs œuvres d’art et de leurs biens immobiliers. En outre, ces alliances fluidifient les étapes. « Notre partenariat nous permet une rapidité d’exécution, tout en facilitant les démarches et en réduisant le nombre d’interlocuteurs », explique Romain Monteaux-Sarmiento. Il se souvient : « Un client de chez Garcin vendait un appartement dans le 16e arrondissement (Paris). Il était également très pressé de vider les lieux. En moins de 24 heures, nous avons envoyé nos spécialistes, fait l’inventaire des biens mobiliers et réalisé l’enlèvement. »
Avec l’acquisition de John Taylor, le groupe Artcurial n’était pas uniquement motivé par des convergences commerciales, « mais aussi par la couverture des différents métiers de l’intermédiation de biens d’exception », affirme Stéphane Aubert, commissaire-priseur et directeur associé d’Artcurial, au même titre que les voitures de collection.
Dans le cas de Drouot, « l’idée principale vient d’une prise de conscience : le nom de Drouot est très porteur. Nous avons déjà beaucoup de demandes d’agences immobilières qui voudraient s’affilier à notre groupe », explique Alexandre Giquello, à la tête du conseil d’administration de Drouot Patrimoine, à l’origine de l’initiative. Il poursuit : « Nous allons nous appuyer sur les professionnels de l’immobilier qui sont très intéressés par notre faculté à entrer dans les appartements. »
La question de confiance est primordiale : « L’acquisition qu’a faite Christie’s en 1995 a été le moyen pour les spécialistes internationaux en art de diriger en toute confiance leurs clients vers un collègue au sein de l’entreprise pour répondre à tous leurs besoins immobiliers. Et cela se produit régulièrement », affirme Dan Conn.
Marketing croisé. Les exemples d’actions communes entre Sotheby’s et Sotheby’s International Realty pour la vente d’une collection et du bien immobilier l’abritant sont nombreux : le château de Groussay en 1998, la succession de Madeleine Castaing ou encore la dispersion de la collection Robert Zellinger de Balkany en 2016. De son côté, Christie’s International Real Estate vient de vendre Herrick House, l’ancien domaine de la collectionneuse Melva Bucksbaum (autour de 10 M€). Christie’s avait précédemment mis aux enchères des pièces de sa collection dans plusieurs ventes y compris sa vente d’art contemporain en 2017. Cette année, lors d’une journée d’expertise à Deauville, Tajan a pu examiner une dizaine de lettres et partitions originales de Georges Brassens apportées par un client de l’agence Émile Garcin. Évalué à 20 000 euros, l’ensemble a été adjugé 45 000 euros, le 3 novembre. « L’échange le plus intéressant a eu lieu à Aix où l’un de nos clients est venu faire expertiser sa cave à vin qui s’est révélée extraordinaire. De notre côté, un des clients de Tajan nous a proposé une très belle demeure à la vente près d’Apt », a rapporté Nathalie Garcin.
Entre Artcurial et John Taylor, « les apports de chaque maison se font dans les deux sens et sont nombreux », rapporte Stéphane Aubert. La maison de ventes a, entre autres, adjugé en 2017 Andromède, de Rodin (3,6 M€), découverte lors de la mise en vente d’un appartement.
Marie Potard
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Pourquoi les maisons de ventes s’intéressent à l’immobilier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°556 du 27 novembre 2020, avec le titre suivant : Maisons de ventes et agences Immobilières, un mariage qui tient