Art brut

Les derniers éclats de Jean Dubuffet

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 28 mars 2012 - 681 mots

La galerie londonienne Waddington Custot expose et offre à la vente de nouvelles et inédites œuvres de Jean Dubuffet.PAR ALAIN QUEMIN

LONDRES - Faut-il encore présenter Jean Dubuffet, l’un des artistes contemporains français les plus célébrés et consacrés du XXe siècle ? Tant par son œuvre personnelle que par sa contribution à la reconnaissance de l’Art brut, Dubuffet a ouvert la voie à d’autres artistes majeurs du XXe siècle, tel Jean-Michel Basquiat, comme à ceux utilisant le graffiti. La galerie Waddington Custot – sa première exposition consacrée à Dubuffet depuis 2000 – présente vingt-cinq peintures à l’acrylique marouflées sur toile ; dont vingt sont proposées à la vente, les autres étant prêtées par la Fondation Dubuffet pour compléter l’exposition.

Ces œuvres créées par l’artiste durant les huit dernières années de sa vie, de 1975 à 1982, provenant de la Fondation Dubuffet (créée à l’instigation de l’artiste, en 1973) sont nouvelles sur le marché et pour la plupart d’entre elles, n’ont jamais été exposées à ce jour. Étant donné la reconnaissance et la cote de Dubuffet lors de ventes aux enchères, la fondation aurait pu choisir de disperser les œuvres via une maison de ventes mais a préféré opter pour le passage en galerie (1) afin de bénéficier d’une véritable exposition (d’où le prêt d’œuvres, en plus de celles à vendre) ainsi consacrée à une période moins connue du travail du maître français.

Force est de constater que la présentation est de qualité quasi-muséale, et se distingue tant par les tableaux que par l’accrochage judicieux et professionnel. Les œuvres choisies appartiennent à cinq séries différentes, Lieux abrégés, Théâtres de mémoire, Partitions, Psycho-sites et Sites aléatoires, et font apparaître la poursuite de l’expérimentation plastique par Dubuffet jusqu’à la fin de sa vie. Ce, en dépit du succès rencontré par les séries précédentes comme les portraits des années 1946-1948, celle de Paris Circus de 1961-1962, ou encore celle de l’Hourloupe, associée à son cycle le plus long et le plus consacré, de 1962 à 1974. Infatigable créateur, Dubuffet produisait encore, en 1981, un an avant sa disparition, plus de cinq cents œuvres de la série des Psycho-sites.

Un style, une identité
Par-delà l’audace stylistique d’un artiste septuagénaire puis octogénaire, l’exposition souligne le talent de Dubuffet : les œuvres relevant des différentes séries représentées pourraient sembler n’être d’abord que des dessins d’enfants, ou de purs « amateurs », ceux auxquels l’artiste s’est tant intéressé avec son engagement en faveur de l’Art brut. Or, ces dessins, malgré une grande et belle diversité de coloris – selon les séries, les tons roses le disputent aux jaunes vifs et aux rouges éclatants qui peuvent évoquer le mouvement Cobra – possèdent un style reconnaissable entre tous. Inversant la proposition précédente, si certains d’entre eux étaient précisément des dessins d’enfants, on dirait qu’ils évoquent le travail de Dubuffet. Ainsi, l’artiste se plaît à jouer des catégories et des frontières, avec une réelle inventivité, sans jamais renoncer à son propre style.

La figure humaine  dessinée au trait noir, est comme enfermée dans des cellules colorées en des scènes que, selon les séries, Dubuffet qualifiait de façon assez arbitraire de « paysages », « lieux de promenade », « sites » ou « esplanades », contredisant en partie par l’expression graphique la dimension figurative suggérée par ces appellations. Proposées entre 100 000 et 300 000 euros, les œuvres, vu leur provenance et leur nouveauté, n’ont pas manqué d’être rapidement presque toutes vendues à des clients, essentiellement européens et à quelques Américains. Si Dubuffet est aujourd’hui représenté dans les plus grandes collections du monde et fut défendu aux États-Unis de son vivant, il représente toutefois un marché fortement européen qui n’est pas aussi soutenu que sa reconnaissance institutionnelle. La présente exposition en galerie consacrée à ses œuvres tardives, présentation belle et puissante, devrait aider à corriger cela.

LATE PAINTINGS BY JEAN DUBUFFET

Nombre d’œuvres : 25
Prix : 100 000 à 300 000 €

sLate Paintings by Jean Dubuffet (1975-1982), jusqu’au 14 avril 2012, Waddington Custot galleries, No 11 & 12 Cork Street, Londres, Angleterre, lundi-vendredi 10 h-18 h, samedi 10 h-13 h 30 www.waddingtoncustot.com

Note

(1) La galerie Waddington Custot représente 34 artistes, dont des contemporains historiques et des poids lourds du marché. On trouve ainsi notamment Henri Matisse, Francis Picabia, Pablo Picasso, Robert Rauschenberg, Antoni Tàpies ou encore Andy Warhol.

Légende Photo :
Jean Dubuffet, Site aux disjonctions, 1977, acrylique sur papier marouflé sur toile, avec 37 morceaux de collage, 210 x 319 cm. Courtesy Fondation Dubuffet, Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Les derniers éclats de Jean Dubuffet

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