PARIS
Quand l’artiste tisse le visible et le dicible, il invente de nouvelles combinaisons entre l’écriture et la matière de l’œuvre, à voir en sa Fondation.
PARIS - La prolifération d’écrits en peinture mais surtout photographie, vidéo, installations et cinéma fait oublier que le mot n’a jamais été absent de l’univers imagier. Certes, dans le passé, la peinture a toujours réussi à absorber le texte, à le transmuter. L’exclusion d’un quelconque signe verbal explicite du champ iconique était la règle de l’abstraction, qui expulsait de son sein tout composant suspecté d’entraver sa quête de pureté absolue. Le fameux nom de baptême « Sans titre » indiquait clairement la volonté de silence, le refus de l’inadéquat, du superflu, d’une médiation langagière intrusive. Les choses seront bien différentes chez Jean Dubuffet, dont la Fondation parisienne met en scène les scriptions, jargons, gribouillis. Autrement dit, toute trace écrite dans une œuvre dont déjà les titres évocateurs sont les expressions condensées d’une poésie personnelle et universelle.
L’exposition organisée dans cet endroit historique, qui fut le lieu de naissance de l’art brut avant de devenir un centre de recherche consacré à Dubuffet, est le fruit d’un travail minutieux. De fait, il n’est pas facile de choisir parmi plus de 10 000 travaux répertoriés, de milliers de pages écrites de ce polymorphe et boulimique artiste. Tâche d’autant plus rude que Dubuffet joue sans cesse avec les mots et « invente » des jargons et de nouvelles langues. Ainsi, fasciné par un dialecte algérien (il rêve de « peindre en arabe »), il le transpose phonétiquement en français et le glisse dans ses travaux, faisant appel à l’humour ou à l’ironie grinçante. De même, il abolit la distinction entre le signe et la lettre ; le contour d’un corps se délie et devient une ligne qui serpente et forme un alphabet absurde ou des amalgames évasifs. Plus important, chez le peintre le mot ne reste pas uniquement sur la surface de la toile. S’inspirant des graffitis, ces inscriptions à même la chair de la ville, il traite le support comme la paroi d’un mur et crée des images en relief, brossées, griffées ou rayées (Nappe de deuil, 1952).
Enfin, avec le cycle de « L’Hour-loupe », Dubuffet construit un réseau de lignes bariolées en rouge, en bleu ou cernées de noir. Le réseau, en effet, dépasse la notion de signe isolé, indépendant ; la composition à partir des « nœuds » irréguliers, inachevés, entrelacés, qui se chevauchent et s’entrecroisent, aboutit à un « tissu des incertitudes » où les connexions, les liaisons, se perdent et reparaissent sans cesse et où l’autorité du regard cède la place au tâtonnement de l’œil. Partout, à travers l’exposition, l’image et le mot font corps. Mais on le savait déjà. Dubuffet manie aussi facilement la plume que le pinceau.
Commissariat : Sophie Webel, directrice de la Fondation Dubuffet
Nombre d’œuvres : 110
Jean Dubuffet, Rue des Petits-Champs (Bombance), 1962, gouache sur papier, 50 x 67 cm, collection Fondation Dubuffet, Paris.
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L’image prise au mot, par Dubuffet
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 12 juillet, Fondation Dubuffet, 137, rue de Sèvres, 75006 Paris, tél. 01 47 34 12 63, www.dubuffetfondation.com, du lundi au vendredi 14h-18h, ouverture exceptionnelle les samedis 8, 15 et 22 juin de 14h à 18h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°393 du 7 juin 2013, avec le titre suivant : L’image prise au mot, par Dubuffet