Italie - Droit

Règlementation

Le marché de l’art italien freiné par une bureaucratie surannée

Les professionnels déplorent la difficulté d’obtenir un certificat d’exportation pour une œuvre d’art qui peut parfois mettre des mois avant d’être délivré.

Italie. Reprise ou résilience après deux années de pandémie ? Les observateurs du marché de l’art italien hésitent entre ces deux termes pour qualifier les résultats des maisons de ventes en 2022. Leur chiffre d’affaires est en constante hausse, avec l’an dernier, des bonds de 43,4 % pour Finarte ou encore de 38,8 % pour Farsetti. Mais pour les professionnels du secteur, c’est plutôt la résignation qui domine. Celle d’avoir affaire à une législation qu’ils estiment être particulièrement pénalisante pour leur activité. Ils en veulent pour preuve le poids de l’Italie sur le marché de l’art international qui n’y représente que 1 %, contre 7 % pour les voisins français. 
La France est souvent citée en modèle par les antiquaires et galeristes italiens qui déplorent les taux de TVA « exorbitants » qu’ils doivent affronter. Elle est de 10 % pour l’importation des œuvres – contre 5,5 % dans l’Hexagone –, 10 % également pour les ventes effectuées directement par l’auteur de l’œuvre (ses héritiers ou légataires) et 22 % en cas de ventes par d’autres personnes, soit le niveau le plus élevé de l’Union européenne. 

C’est surtout le seuil des valeurs pour les exportations des tableaux qui est régulièrement dénoncé comme « ridiculement bas » par l’Associazione Nazionale Gallerie d’Arte Moderna e Contemporanea (ANGAMC). Alors que la France l’a relevé de 15 000 à 300 000 euros, il est toujours de 13 500 euros en Italie. Le ministère de la Culture argue pourtant d’un certain assouplissement introduit en 2017 avec une simple auto-certification qui est désormais suffisante pour l’exportation permanente d’œuvres d’auteurs morts – dont la réalisation date de plus de 70 ans et dont la valeur est inférieure à 13 500 euros. Il en est de même pour les œuvres d’auteurs vivants, dont la réalisation ne date pas de plus de 70 ans. « Nous devons affronter une bureaucratie hypertrophique et malade, déplore Giuseppe Bertolami à la tête de la maison de ventes romaine Bertolami Fine Art, avec des normes obsolètes qui n’arrivent pas à être mises à jour en prenant compte du contexte du marché international actuel. » Le bureau des exportations de la Surintendance du ministère qui traite les auto-certifications n’est en effet ouvert qu’un jour par semaine. Il faut ensuite attendre quarante jours pour obtenir, sans assurance de succès, une licence de libre circulation des œuvres. Mais le caractère discrétionnaire des choix effectués et parfois la futilité de leur justification sont régulièrement fustigés par les professionnels du marché de l’art qui attendent souvent des mois le précieux sésame.

La patience des potentiels collectionneurs et musées étrangers est mise à dure épreuve. « Des directeurs de grandes institutionnelles culturelles américaines ont renoncé à monter des expositions d’artistes italiens, explique Andrea Sirio Ortolani le président de l’ANGAMC. Cette attitude de l’Italie est autodestructrice car, non contente d’empêcher l’exportation des œuvres du territoire national, dans la plupart du temps, les pouvoirs publics ne les achètent pas. » 

Une œuvre perd 50 % de sa valeur sans passeport 

« Les difficultés d’exportation ont un impact de l’ordre de 10 à 20 % sur le chiffre d’affaires des maisons de ventes italiennes, estime Matteo Cambi, président de la maison de ventes, Cambi Casa d’Aste. Une interdiction de sortie du territoire peut faire baisser le prix des œuvres de 30 à 40 % pour ceux qui ont un intérêt national et de 70 à 80 % pour ceux d’une grande importance internationale. » La dépréciation minimum de l’œuvre est en moyenne d’environ 50 % si elle n’obtient pas son passeport. C’est ainsi qu’une nature morte de Giorgio Morandi autorisée à quitter l’Italie a pu être adjugée 3,4 millions d’euros à un collectionneur américain par Sotheby’s, lors d’une vente milanaise, le 23 novembre dernier [voir ill.]. Une autre nature morte de l’artiste vendue cette fois par Christie’s un an plus tôt, d’une qualité au moins équivalente, mais ne pouvant voler vers d’autres cieux, n’a atteint « que » 1,8 million d’euros.

Le groupe Apollo, qui réunit vingt opérateurs pour discuter avec le ministère de la Culture des questions de fiscalités et de circulation des œuvres d’art, s’élève contre « une incertitude des règles et des délais de délivrance des certificats et des licences ». Son coordinateur, Giuseppe Calabi, avocat expert en droit du marché de l’art, insiste sur « les dommages infligés à la compétitivité du marché italien et à sa réputation. Il est engoncé dans une attitude conservatrice et protectionniste. Une simplification des procédures est nécessaire pour se mettre au niveau de nos voisins européens et pouvoir participer pleinement aux échanges sur le marché global de l’art ». Un thème auquel le nouveau sous-secrétaire d’État à la Culture, Vittorio Sgarbi, est sensible. Il promet de s’y atteler et souhaiterait promouvoir une meilleure connaissance des œuvres avec une carte d’identité établissant leur provenance et leurs propriétaires pour permettre, à terme, leur libre circulation. 
 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°606 du 3 mars 2023, avec le titre suivant : Le marché de l’art italien freiné par une bureaucratie surannée

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