Droit

Certificats d’exportation : nouveaux écueils pour les propriétaires

Par Pierre Noual, avocat à la cour · Le Journal des Arts

Le 25 septembre 2024 - 1012 mots

La cour administrative d’appel de Paris confirme le refus de délivrer des certificats d’exportation à deux sculptures attribuées à Germain Pilon en raison de leur domanialité publique.

Les deux statues de Germain Pilon (1528-1590) ayant orné le tombeau de l’évêque Jean de Morvillier. © Rouillac
Les deux statues de Germain Pilon (1528-1590) ayant orné le tombeau de l’évêque Jean de Morvillier.
© Rouillac

Paris. Afin de préserver le patrimoine culturel sur le sol national, le législateur a confié au ministère de la Culture un pouvoir de police administrative spéciale sur le contrôle des biens culturels. À ce titre, il a mis en place un mécanisme au travers de la demande de certificat d’exportation d’un bien culturel qui permet de repérer les œuvres ayant un intérêt majeur pour le patrimoine national en les classant temporairement comme « trésors nationaux ». Si le bien est concerné, il devra obtenir un « passeport » pour quitter la France, sous peine de constituer une exportation illégale. En cas de refus, le bien est considéré comme « trésor national » et l’État dispose de trente mois pour faire une offre d’achat au propriétaire. Passé ce délai, l’administration ne peut plus refuser la délivrance dudit passeport. Aussi un récent arrêt de la cour administrative d’appel de Paris (5 juillet 2024) doit-il être relevé en ce qu’il confirme la réduction des garanties liées aux délais d’instruction dont bénéficient les propriétaires lorsqu’ils demandent un certificat d’exportation et se voient opposer la domanialité publique.

Apporter la preuve que les sculptures sont aliénables

En l’espèce, le propriétaire de deux sculptures de la Renaissance, représentant des figures féminines aux bras croisés attribuées à Germain Pilon (1528-1590, [voir ill.]) et ayant orné le tombeau de l’évêque d’Orléans Jean de Morvillier, a adressé au ministre de la Culture une demande de certificat d’exportation le 23 septembre 2019. Par principe, le ministre dispose d’un délai de quatre mois pour répondre à la demande ; après ce délai, son silence vaut accord. Or, pour contrer une autorisation née de son silence, l’administration peut retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative si elle est illégale et si le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de sa décision. C’est ce qu’a pu affirmer un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris de 2018 concernant le refus de délivrance du certificat d’exportation du tableau Judith et Holopherne attribué au Caravage.

Surtout, ce délai d’instruction de quatre mois peut être suspendu lorsqu’un doute sur l’appartenance au domaine public se pose. C’est ainsi que neuf jours avant l’expiration du délai, le ministre a sollicité du propriétaire ses observations concernant la sortie légitime de ses sculptures du domaine public. En effet le décret de l’Assemblée constituante du 2 novembre 1789 a prévu que « tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation ». Dès lors, et afin de pouvoir être aliénés, il fallait être en possession d’un « décret formel du corps législatif, sanctionné par le Roi ». Faute d’un tel acte, les sculptures litigieuses relèveraient du domaine public et seraient donc interdites de sortie du territoire car inaliénables et imprescriptibles.

Le propriétaire disposait alors de quatre mois complémentaires pour apporter tous les éléments de preuve – un délai prolongé de deux mois en raison de la pandémie de Covid-19, soit jusqu’au 23 août 2020. Or ce dernier s’est simplement borné à indiquer, par un courrier daté du 27 janvier 2020, que « le tombeau de Jean de Morvillier avait été démantelé dès 1793 et, en tout état de cause, avant 1795 ». Dans ce contexte, le ministre a donc rejeté, par une décision du 4 décembre 2020, la demande de certificat d’exportation au motif que les sculptures appartenaient au domaine public.

Le propriétaire a alors saisi le juge administratif en raison du non-respect du délai de quatre mois qui avait fait naître une autorisation tacite de sortie du territoire, illégalement retirée par le ministre de la Culture selon la « jurisprudence Caravage » précitée. Or, pour les magistrats de la cour d’appel, le propriétaire n’avait pu rapporter, avant le délai butoir, la preuve concrète selon laquelle les sculptures pouvaient être librement aliénées : la demande ne pouvait qu’être jugée irrecevable. Autrement dit l’instruction de la demande n’avait pu aboutir en raison du « retrait » du propriétaire qui n’aurait pas répondu sur le fond à la requête du ministre de la Culture. En conséquence, aucune autorisation tacite n’avait pu être donnée par le ministère. Dès lors il était impossible de retirer une décision créatrice de droit puisqu’aucune décision n’était née au profit du demandeur.

Une décision qui pose des questions

Le débat risque désormais de se jouer sur le terrain de la revendication de ces sculptures par l’État, car s’il est normal que celui-ci revendique des objets ayant disparu de ses musées ou bibliothèques aux XIXe et XXe siècles, lorsque la preuve incontestable qu’ils appartiennent au domaine public est apportée, il est possible d’écorcher l’anguille par la queue en questionnant la pertinence de revendiquer des biens empilés dans des dépôts révolutionnaires, avant même toute concrétisation des musées et des bibliothèques et partant du domaine public. Il serait bien plus opportun de se tourner vers les principes dégagés par le Concordat que vers ceux des décrets de 1789 et 1790 issus d’une période de trouble juridique et politique. Pour autant, les juges administratifs n’ont pas hésité à confirmer la restitution du « pleurant no 17 » provenant du tombeau du duc de Bourgogne en 2018, de manuscrits rédigés au XIIIe siècle au scriptorium de l’abbaye du Mont-Saint-Michel en 2020.

Face à cette probatio diabolica [« preuve du diable », impossible à fournir, ndlr] qui pèse sur les propriétaires, le seul soutien qu’il leur reste désormais est la reconnaissance d’un préjudice réparable lié à la perte d’un intérêt patrimonial à jouir d’un bien culturel relevant du domaine public. En ira-t-il de même pour ces sculptures ? Dans l’attente du prochain épisode, le Conseil d’État ayant été saisi de l’affaire, les jeux des délais pratiqués par le ministre de la Culture sont confortés par les juges. Le risque est de voir l’administration brandir l’appartenance au domaine public dès lors que des demandes de certificat d’exportation vont porter sur des œuvres issues de la période révolutionnaire ou présentant de vagues hypothèques temporelles qui lui seront favorables. En art ou en droit, le trouble n’est pas toujours celui que l’on croit.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : Certificats d’exportation : nouveaux écueils pour les propriétaires

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