LUXEMBOURG [26.02.15] - La Cour de justice de l'Union européenne, saisie d’une question préjudicielle, a décidé, le 26 février 2015, que la législation française désignant le vendeur comme redevable du coût du droit de suite doit autoriser les aménagements contractuels permettant à l’acheteur de supporter en tout ou partie une telle charge.
Il aura fallu plus d’une année à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour trancher une question en suspens depuis les procédures initiées par le Syndicat National des Antiquaires (SNA) et le Comité professionnel des galeries d’art à l’encontre de Christie’s France. Les litiges portaient tous deux sur la validité d’une clause, insérée dans les conditions générales de la vente Yves Saint Laurent/Pierre Bergé de février 2009, selon laquelle Christie’s France perçoit de la part de l’acheteur une somme équivalente au montant de la redevance due à l’auteur au titre du droit de suite. Or, l’article L. 122-8, alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, dispose expressément que la charge du droit de suite pèse sur le vendeur, sans pour autant exclure un éventuel aménagement contractuel.
La cour d’appel de Paris avait alors suivi le 12 décembre 2012 les conclusions du SNA, en prononçant la nullité de la clause inversant la charge du droit de suite au sein des conditions générales de vente de la maison anglaise, tandis que la même cour, autrement formée, rendait le 3 juillet 2013 une décision diamétralement opposée dans le litige initié par le Comité. Saisie d’un pourvoi formé contre l’arrêt de décembre 2012, la Cour de cassation avait alors, le 22 janvier 2014, sursis à statuer et renvoyé à la CJUE le soin d’interpréter, ainsi qu’il le lui était demandé, la directive européenne 2001/84/CE ayant harmonisé le droit de suite.
La consécration d’une possible dérogation contractuelle
La question posée était ainsi libellée : « La règle édictée par l’article 1 § 4 de la Directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale, qui met à la charge du vendeur le paiement du droit de suite, doit-elle être interprétée en ce sens que celui-ci en supporte définitivement le coût sans dérogation conventionnelle possible ? ».
La CJUE vient d’y répondre, le 26 février 2015, par la négative. En effet, la Cour retient que l’article 1er, paragraphe 4, « doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la personne redevable du droit de suite, désignée comme telle par la législation nationale, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l’art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l’acheteur, que cette dernière supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu’un tel arrangement contractuel n’affecte nullement les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l’auteur ».
Il est donc possible de déroger contractuellement à la règle édictée par l’article L. 122-8 du CPI dès lors qu’est assurée au profit de l’auteur, ou de ses ayants droit, la participation économique au succès de leur création qui lui est due.
L’interprétation du silence de la directive
En effet, s’appuyant sur le texte de la directive, la CJUE rappelle que « la nécessité d’une interprétation uniforme d’une disposition du droit de l’Union exige, en cas de divergence entre les différentes versions linguistiques de celle-ci, que la disposition en cause soit interprétée en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément ». Or, la directive demeure muette sur l’identité de la personne devant supporter définitivement le coût du droit de suite, la distinction avec le responsable du paiement n’étant pas opérée dans certaines versions linguistiques. Ce silence impose alors de se référer aux objectifs poursuivis par la directive, celle-ci visant notamment à « mettre fin aux distorsions de concurrence sur le marché de l’art ». Dès lors, la réalisation d’un tel objectif n’imposerait que la détermination du responsable du paiement du droit de suite et les règles de calcul visant à établir le montant de ce droit.
Il en va autrement de la détermination de la personne supportant, en définitive, le coût engendré. Par conséquent, la directive ne s’oppose pas « à ce que, dans l’hypothèse où un État membre adopterait une législation qui prévoit que le vendeur ou un professionnel du marché de l’art intervenant dans la transaction est la personne redevable, ceux-ci conviennent, lors de la revente, avec toute autre personne, y compris l’acheteur, que cette dernière supporte définitivement le coût de la redevance due à l’auteur au titre du droit de suite ».
Les dispositions de l’article L. 122-8 du CPI ne relèvent donc pas d’un ordre public destiné à protéger l’intérêt général à la lumière de la directive européenne de 2001. Les intermédiaires du marché de l’art, notamment les opérateurs de ventes volontaires, pourront donc demain faire contractuellement peser la charge du droit de suite, en tout ou partie, sur les acheteurs offrant ainsi un nouvel argument commercial aux vendeurs exigeants. La pratique pourra également faire preuve d’imagination, la charge du droit de suite pouvant peser sur « toute autre personne, y compris l’acheteur » et non les seuls vendeurs, intermédiaires et acheteurs.
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Le droit de suite peut être mis à la charge de l’acquéreur
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La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), anciennement Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) est l'une des sept institutions de l'Union européenne. Elle regroupe trois juridictions : la Cour de justice, le Tribunal et le Tribunal de la fonction publique. Le siège de l'institution et de ses différentes juridictions, est à Luxembourg. (source Wikipedia)