PARIS
La cour d’appel approuve, 7 mois après une décision contraire, la possibilité de mettre contractuellement le droit de suite à la charge de l’acheteur.
PARIS - La vente de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé aura été exceptionnelle à plus d’un titre. C’est en effet à cette occasion, que la pratique de la société Christie’s France consistant à faire peser le droit de suite non plus sur le vendeur, mais sur l’adjudicataire, fut dénoncée. Une pratique suspendue depuis janvier 2010, dans l’attente de deux procédures judiciaires, l’une engagée par le Syndicat national des antiquaires (SNA), l’autre par le Comité professionnel des galeries d’art.
Si la cour d’appel de Paris avait suivi le 12 décembre 2012 les conclusions du SNA, en prononçant la nullité de la clause inversant la charge du droit de suite au sein des conditions générales de vente de la maison anglaise, la même cour, autrement formée, a rendu le 3 juillet 2013 une décision diamétralement opposée.
Le droit de suite, permettant à un artiste ou à ses ayants droit de percevoir un pourcentage lors des reventes successives d’une œuvre originale, est explicitement « à la charge du vendeur » au terme de l’article L. 122- 8, al. 3 du code de la propriété intellectuelle. Ainsi, selon le Comité, les conditions générales de vente de Christie’s France violeraient cette disposition légale, créeraient une véritable concurrence déloyale en détournant les vendeurs des galeristes et constitueraient une pratique commerciale trompeuse. Au contraire, la maison britannique soutenait, d’une part, que les dispositions dudit code ne relèvent pas d’un « ordre public destiné à protéger l’intérêt général » et, d’autre part, que les conditions de vente étaient pleinement accessibles et aisément lisibles, notamment pour des amateurs d’art parfaitement éclairés. Dès lors, il serait possible de faire primer la liberté contractuelle sur les dispositions du code de la propriété intellectuelle.
Une interprétation de la directive européenne
À la lumière de la directive européenne du 27 septembre 2001 relative au droit de suite, la cour d’appel souligne que l’article 1-4 de ce texte dispose que « le droit visé au paragraphe 1 est à la charge du vendeur. Les États membres peuvent prévoir que l’une des personnes physiques ou morales visées au paragraphe 2, autre que le vendeur, est seule responsable du paiement du droit ou partage avec le vendeur cette responsabilité ». Ainsi, selon la cour, « l’objectif de la directive est à la fois de protéger les auteurs et de contribuer au bon fonctionnement du marché commun de l’art, sans entraves ni restrictions de concurrence, par l’adoption d’un régime unifié du droit de suite entre États membres ». Dès lors, si le principe de l’application du droit de suite a un caractère impératif, sa mise en œuvre ne revêt pas un caractère d’ordre public. Il existerait alors « très clairement […] une possibilité de dérogation pour les modalités de paiement et ce afin de faciliter le paiement du droit de suite, ce qui assure mieux encore le respect du droit de l’auteur de l’œuvre ». En conséquence, l’appel du Comité est rejeté, celui-ci étant condamné à verser à Christie’s la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pourtant, c’est ici faire preuve d’une certaine liberté d’appréciation, tant au regard du texte de la transposition en droit interne de la directive, que de ses travaux préparatoires et surtout du considérant 25 de la directive qui impose une dérogation expresse au principe du paiement par le vendeur par le législateur national. À cet égard, la cour n’hésite pas à faire sienne l’argument de Christie’s, selon lequel « la loi néerlandaise et la loi anglaise ont mis le droit de suite à la charge du professionnel de l’art ». La Cour de cassation, saisie suite à l’arrêt du 12 décembre 2012, aura ainsi l’impérieux loisir d’harmoniser la jurisprudence des juges du fond sur cette question brûlante, qui loin d’attiser seulement les foudres des antiquaires et des galeristes, suscite également l’intérêt des opérateurs de ventes volontaires pour s’engouffrer dans une brèche aujourd’hui suspendue.
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Droit de suite : les errances de la cour d’Appel
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Abonnez-vous dès 1 €Vente Yves Saint-Laurent/Pierre Bergé, au Grand Palais, en février 2009. © Christie's Images.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°402 du 29 novembre 2013, avec le titre suivant : Droit de suite : les errances de la cour d’Appel