Fragilisée par la répression et la pandémie, la foire s’est replacée en pole position grâce à une stratégie résolument ancrée à l’est du continent.
Hong Kong. Organisée sur cinq jours dans un contexte économique et politique encore incertain, Art Basel Hong Kong a démontré son attractivité et sa force de vente. Dès son ouverture le 21 mars (première journée réservée exclusivement aux collectionneurs VIP), les transactions furent d’emblée supérieures en valeur et en volume à ses jeunes concurrentes, Frieze Seoul et Art SG. Même si le nombre de galeries reste inférieur par rapport à 2019 (177 contre 242), cette offre « resserrée » a stimulé l’appétit des collectionneurs, en majorité chinois, coréens et japonais.
Les artistes japonais, coréens et occidentaux ont été plébiscités dès le vernissage. Kisan, toile de Kazuo Shiraga de 1991 a été vendue pour 4,6 millions d’euros par la galerie Fergus McCaffrey (New York, Tokyo…). L’intérêt pour les œuvres de Yayoi Kusama fut également très fort : Ota Fine Arts (Singapore, Tokyo) a vendu Pumpkin, large sculpture en aluminium de 2022 à un collectionneur asiatique pour 2,2 millions d’euros. À noter que l’artiste est particulièrement à l’honneur à Hong Kong avec son exposition rétrospective au musée M+ jusqu’au 14 mai.
Les artistes coréens n’étaient pas en reste. La galerie Mennour (Paris) a vendu une toile de 2014 de Lee Ufan de la série « Dialogue » pour 1 million d’euros, comme la galerie multinationale Pace pour un montant comparable. Les sept œuvres de Lee Bae proposées par la galerie Johyun (Busan) ont toutes très vite trouvé acquéreur. L’engouement était également palpable sur le segment « hypercontemporain » avec la vente de quatre toiles de l’artiste coréenne Moka Lee (26 ans seulement) à des collectionneurs privés coréens, hongkongais et européens par la galerie Jason Haam (Séoul).
Largement représentés, les artistes occidentaux ont aussi eu un franc succès. Hauser & Wirth (New York, Londres…) a communiqué des ventes à des niveaux très élevés : 4,4 millions d’euros pour Purple Compression de George Condo (2011), 3,2 millions pour A Straight Line (2023) et 1,6 million pour Untitled (« The sensation of sadness at having slept through a shower of meteors. »), sculpture de verre de 2012-2014 de Roni Horn. Georg Baselitz, Anselm Kiefer et Ugo Rondinone cultivent par ailleurs leur aura auprès des acheteurs asiatiques.
Toutes ces ventes sont favorisées par l’absence de TVA à Hong Kong, un avantage concurrentiel clé à ce niveau de prix par rapport à Singapour (GST de 8 % et 9 % à partir de 2024) et Séoul (variable en fonction du type d’œuvre avec une exemption possible pour les artistes vivants vendus en dessous 43 000 euros). Ces montants sont également à lire à l’aune du coût de la foire : environ 18 000 euros pour un stand de 24 m2 (minimum), jusqu’à 134 000 euros pour un espace de 150 m2 (maximum).
Les artistes chinois ont également enregistré de solides ventes à l’instar de Yan Pei-Ming dont les œuvres proposées par les galeries multinationales Massimo de Carlo et Thaddaeus Ropac furent acquises pour des montants compris entre 220 000 et 360 000 euros. La percée des artistes hongkongais sur le marché était plus inattendue : UBS, principal partenaire de la foire, a fait l’acquisition d’œuvres de huit artistes de Hong Kong, dont Mak2 (De Sarthe, Hong Kong) et Stephen Wong Chun Hei (Gallery Exit, Hong Kong), exposées dans son lounge VIP. Interrogées sur les raisons de ce succès, les galeries locales ont lié paradoxalement le phénomène à la pandémie : elles ont porté plus d’attention à la scène artistique hongkongaise à l’instar de la galerie 10 Chancery Lane (Hong Kong) qui a organisé une exposition collective de 31 femmes artistes de Hong Kong de mai à août 2022.
L’écosystème hongkongais a également surpris par son audace. Alors que la question de la censure est particulièrement sensible depuis la promulgation de la loi sur la sécurité nationale (National Security Law) en juin 2020, la galerie Blindspot (Hong Kong) a organisé une exposition consacrée à l’artiste pékinois Wang Tuo évoquant justement (mais subtilement) le sujet. Parallèlement, on note que la culture cantonaise et les identités queers catalysent une expression artistique contemporaine qui s’efforce de s’affranchir des codes et des normes imposées par Pékin. Artiste de la diaspora cantonaise, Sin Wai Kin (anciennement Victoria Sin) incarne à sa manière cette évolution avec des références à l’opéra cantonais ainsi qu’à la « cantopop » [genre musical désignant la musique chinoise de Hong Kong]. Présent sur la foire, l’artiste fait également partie de « Myth Makers », exposition en cours consacrée aux mythologies queers dans l’art asiatique et organisée au centre d’art Tai Kwun à Hong Kong.
Consciente des mouvements tectoniques en cours sur le marché de l’art en Asie, Art Basel a sponsorisé la Art Week Tokyo en novembre 2022. Cet investissement s’est matérialisé par une participation record des galeries japonaises : 24 au total. Une stratégie similaire a été développée à Singapour via le partenariat entre Art Basel et S.E.A. Focus, foire satellite consacrée aux artistes d’Asie du Sud-Est. Les galeries de la région ont ainsi gagné en visibilité, à l’instar de Gajah et STPI (Singapour), Richard Koh (Malaisie), ROH (Indonésie), Nova Contemporary (Thaïlande) et Vin (Vietnam). Malgré ces efforts pour construire une foire résolument panasiatique, la présence des galeries indiennes et du Moyen-Orient était relativement plus discrète.
La stratégie de développement d’Art Basel Hong Kong passe également par une « désegmentation » des collectionneurs. Cela s’est concrétisé par une collaboration avec Fine Art Asia, foire comparable à une version hongkongaise de Tefaf qui reviendra en octobre prochain. Pour la troisième année consécutive, Art Basel Hong Kong a consacré un espace mettant en scène antiquités chinoises et œuvres contemporaines proposées par sept galeries, dont Rossi&Rossi (Hong Kong) pour la partie contemporaine. L’initiative est à mettre au compte de Fine Art Asia comme le précise Angelle Siyang-Le, nouvelle directrice de la foire qui ajoute que les collectionneurs asiatiques sont des fast learners, très réceptifs aux nouvelles propositions artistiques.
En parallèle, la foire a conclu un grand nombre de partenariats institutionnels. Comme sa concurrente Art Central, elle est soutenue financièrement par le gouvernement de Hong Kong. Cette proximité avec les autorités locales s’est traduite par un rapprochement avec le musée M+ qui a projeté sur sa façade Hand Me Your Trust, œuvre vidéo in situ de Pipilotti Rist commissionnée par Art Basel et UBS, et organisé une réception en l’honneur de la foire.
Retardé en raison de la pandémie, le Museum Summit organisé par le LCSD (Leisure & Cultural Services Department) de Hong Kong a programmé sa 3e édition pendant la foire (24 et 25 mars) sur le même site. Outre la participation d’Adeline Ooi – ancienne directrice d’Art Basel Hong Kong et actuelle directrice Asie d’Art Basel – à l’un des panels de discussion du sommet muséologique, cette entente a indéniablement favorisé la venue de représentants institutionnels de tous les continents. Les ventes auprès des musées ont d’ailleurs été soutenues à l’instar de The Wine Dark Sea (2022-2023), installation de l’artiste Stanislava Pinchuk née à Kharkov en Ukraine, vendue par la galerie Yavuz (Singapore et Sydney).
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Art Basel Hong Kong reprend son rang
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°608 du 31 mars 2023, avec le titre suivant : Art Basel Hong Kong reprend son rang