Les nouveaux sites Internet des grands musées visent à offrir aujourd’hui un maximum de ressources autour des collections.
Après avoir, des années durant, fait preuve de circonspection vis-à-vis des technologies numériques et de l’Internet, quitte à maintenir en ligne des sites rapidement devenus obsolètes, les grands musées français semblent avoir pris aujourd’hui la mesure de l’enjeu de l’image virtuelle qu’ils affichent sur le Web. Finis donc les sites conçus comme de simples dépliants améliorés délivrant des informations pratiques ! Nouveau design et chartes graphiques, arborescences et ergonomie simplifiées : un vent de frais souffle désormais sur les pages Internet des grands musées français. En décembre 2011, à l’occasion de la présentation des nouveaux projets numériques du Musée du Louvre, Henri Loyrette, son président, défendait ainsi sa stratégie : « Il ne s’agit pas d’afficher une pseudo-modernité […] ou de courir après le tout technologique, mais de prendre en compte une évolution profonde de la société et d’en identifier les impacts sur le monde muséal […]. Les usages ont changé. Ils nous offrent une opportunité immense d’étendre le territoire du musée. » Dans quelques mois, le Centre Pompidou lui emboîtera le pas. Plus que la modernisation de son site, il s’agit pour celui-ci de concrétiser une entreprise ambitieuse : le développement d’un véritable musée virtuel. Car, là aussi, le territoire s’est étendu : pour la première fois en 2010, l’audience du site Internet du Centre Pompidou a dépassé la fréquentation physique du site, laquelle ne cesse pourtant d’augmenter. Si quelques réglages sont encore à effectuer – notamment en termes de droits – avant un lancement au printemps, ce nouvel outil devrait permettre une navigation, depuis son fauteuil, au sein des 60 000 œuvres de la collection du Musée national d’art moderne.
Immersion dans les salles
En matière de notoriété, Internet décuple les possibilités et rend le musée accessible à des publics éloignés, au sens premier du terme. Longtemps, le débat s’est cristallisé autour d’une possible concurrence entre visite virtuelle et visite réelle, avec la crainte de voir disparaître les « clients » du musée. Cette période semble aujourd’hui révolue. Pour Henri Loyrette, la technologie offre plutôt l’opportunité de « s’adresser différemment aux publics », cela « à travers de nouveaux modes de médiation et de compréhension [des] collections ». Présenter une image virtuelle séduisante permet en effet d’amplifier le rayonnement de l’établissement en fédérant une communauté – plus large que celle des traditionnels amateurs d’art –, mais aussi en dévoilant un contenu attractif sur le musée. Avec, en perspective, le grand vertige du musée virtuel disponible sur la Toile. Depuis plus de dix ans, malgré le coût d’une telle entreprise, la numérisation des œuvres possédées par les musées est en effet en marche. À la suite du ministère de la Culture, qui a mis en place des bases de recherche autour des collections publiques, plusieurs musées ont affiché l’ambition, reprise au MuCEM (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) à Marseille ou à la Cité de la céramique à Sèvres, de transformer les sites Internet en de véritables portails spécialisés autour des collections. Dans ce contexte de « tout-numérisation », des logiques de coproduction ont parfois été engagées. En février 2011, le géant américain Google lançait ainsi son « Google Art Project », une plateforme permettant de visiter quelque dix-sept musées célèbres au travers le monde, comme le Reina-Sofía à Madrid ou la Frick Collection à New York. Cela grâce à une technologie déjà utilisée pour le service « Google Street View » et permettant une immersion dans quelques salles, couplée à la consultation d’une banque d’œuvres d’art. L’expérience présente toutefois une limite : aussi intéressante soit-elle, elle est dépourvue de tout accompagnement pédagogique. En somme, le visiteur y est lâché, aussi seul que… dans un musée.
Sur le modèle de « Tate Media »
Les grands établissements français, à l’exception du château de Versailles, partenaire de Google, ont pourtant pris leur distance avec ce programme, préférant développer leurs propres outils. C’est la stratégie adoptée par le Centre Pompidou qui, avec son musée virtuel, ne proposera pas l’expérience physique de la visite, ou plutôt son « succédané » selon les termes d’Alain Seban, président du Centre, mais exploitera les ressources technologiques pour montrer tout ce que l’on ne peut pas voir dans le musée : œuvres en réserves, en prêt, en dépôt, en restauration : photographies, dossiers et analyses d’œuvres en nombre… Le site deviendra ainsi l’agrégateur des multiples connaissances autour des collections, sans chercher à se substituer à la découverte physique des œuvres. Dans ce schéma, le musée se fera aussi producteur de contenu, sur le modèle de ce qui a déjà été développé en Grande-Bretagne par la Tate, avec « Tate Media ».
Pourquoi les musées français ont-ils tant tardé à prendre réellement le train du numérique ? Le coût, financier et humain, du développement de ces projets n’y est pas étranger. Au Louvre, l’investissement récent pour le développement des nouveaux outils numériques est ainsi estimé à plus de 1 million d’euros, dont deux tiers sont pris en charge par le mécénat d’entreprise. De quoi accentuer une nouvelle fracture dans le monde des musées français : celle du numérique. Les musées dépourvus de moyens dans ce domaine sont en effet clairement identifiables : ce sont ceux dont les sites Internet ne proposent guère que des informations pratiques, et une simple sélection de chefs-d’œuvre en ligne (lorsque ceux-ci existent tout simplement en propre !). Ce qui est, hélas, encore le cas pour la plupart des grands musées régionaux. À quand un vaste plan « musée virtuel » en régions ?
Là encore, les musées français semblent très en retard. Alors que la plupart des musées anglo-saxons proposent une boutique en ligne sur leur site Internet, les établissement hexagonaux sont encore à la peine. Peu d’entre eux proposent une billetterie en ligne, susceptible de limiter l’engorgement devant les caisses traditionnelles à l’entrée des grands musées. Seuls quelques établissements sont en pointe dans ce domaine, ainsi du Centre Pompidou, mais aussi du château de Versailles. Après avoir lancé sa boutique en ligne, en cours de refonte, le domaine propose la vente de billets depuis son site Internet, cela en dépit d’une offre tarifaire complexe. Non sans succès : en 2011, le chiffre d’affaires des billets vendus sur la Toile a représenté 10 % des recettes globales de billetterie.
De son côté, la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP) fait déjà nettement mieux pour ses expositions organisées au Grand Palais : entre 50 % et 60 % des réservations se font désormais via le site Web, un taux qui a pu monter jusqu’à 75 % pour « Game Story », une manifestation ciblée vers un public jeune et adepte des nouvelles technologies. D’autres ressources numériques tendent aussi à être commercialisées en ligne, telles les applications d’aides à la visite pour tablettes et smartphones (lire p. 20). Si les locations d’audioguides classiques restent le principal outil utilisé, la RMN-GP marque là aussi des points avec une forte hausse des ventes d’applications – téléchargées pour les deux tiers sur place –, passée de 2,45 % pour l’exposition « Monet » à 6,76 % pour l’exposition « L’aventure des Stein ». D’autres produits sont également développés par l’établissement, comme les « e-catalogues » ; ils offrent, outre un prix attractif, des possibilités de navigation séduisantes grâce à un puissant zoom permettant d’explorer les œuvres en détail. Un produit qui doit toutefois encore trouver son public pour être véritablement rentable.
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Du dépliant au portail
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°363 du 17 février 2012, avec le titre suivant : Du dépliant au portail