Si peu de visiteurs ont encore le réflexe numérique, les musées mobilisent leurs moyens pour proposer de nouvelles aides à la visite à la pointe de la technologie.
Soucieux de s’adapter à la demande d’un public converti aux outils multimédias, les musées voient dans le numérique un nouveau défi. Avec un déséquilibre des forces. D’un côté, les grands établissements se donnent les moyens de rester à la pointe ; de l’autre, les petites institutions font un pas timide vers de nouvelles pratiques encore peu répandues. Et dans le rôle du troisième larron, les sociétés spécialisées dans le développement de contenants, auxquelles les musées font appel pour diversifier leur offre d’aide à la visite. Le champ d’action est si vaste et le matériel évolue à une vitesse telle qu’à peine un site Internet est-il peaufiné que sont mis en chantier de nouveaux projets innovants.
Encore peu nombreuses, certaines institutions (Musée du quai Branly, Musée d’Orsay) ont emboîté le pas aux sociétés de transport et salles de spectacle en proposant un billet d’entrée dématérialisé (le « M-ticket »), avec un codes-barres reçu par SMS qui s’affiche sur son téléphone et qui est scanné à l’entrée. Si des bornes numériques sont installées in situ depuis longtemps, l’heure est à l’individualisation des usages. Ce qui explique l’explosion du marché de l’application téléchargeable sur smartphone et tablettes numériques, censée fidéliser les visiteurs en restant à leur entière disposition, avant, pendant et après la visite. D’un coût situé entre 2 et 5 euros pour le « mobinaute » (et entre 10 000 et 150 000 euros pour le musée) selon sa complexité, le contenu est variable : l’offre peut consister en un simple affichage des renseignements pratiques ; être calquée sur le site Internet du musée ; être destinée à la consultation devant les œuvres, ou offrir un contenu plus sophistiqué. Pour sa première application, le Guggenheim-New York a mis les bouchées doubles lors de la rétrospective « Maurizio Cattelan » et produit un contenu d’une richesse inédite : des centaines d’images, des fichiers audio et vidéo contenant des entretiens avec des conservateurs, galeristes, artistes et amis de Cattelan. La palme de l’innovation revient au High Museum of Art d’Atlanta (Géorgie), dont l’application ArtClix dote le smartphone d’une reconnaissance visuelle – il suffit de pointer le téléphone vers l’œuvre pour obtenir du contenu audiovisuel. Avec en bonus une option communautaire : les utilisateurs du même service ont la possibilité de partager leurs impressions en direct. Dans un genre plus ludique, à l’occasion de l’exposition événement sur Léonard de Vinci à Londres, le Crédit suisse, mécène fidèle de la National Gallery, a imaginé « Leonardo : The Studio Tour ». L’application invite l’utilisateur à plonger dans l’atelier milanais du peintre, lieu inventé de toutes pièces à partir des tableaux et des écrits de l’époque, pour y découvrir les outils du peintre et son processus créatif.
Pour Karim Mouttalib, directeur général délégué du Musée du quai Branly, le recours à des prestataires extérieurs garantit l’emploi d’une technologie de pointe. Outre le choix qui s’offre entre les différentes sociétés spécialisées (Blueapps, SmartApps, Ophrys…), le Quai Branly a sa propre « Pépinière », laboratoire créé en partenariat avec Orange et l’École nationale supérieure de création industrielle (Paris). Les prochaines vacances de printemps seront l’occasion d’une « Semaine numérique » au musée, au cours de laquelle les différents projets de la Pépinière seront testés par le public – car c’est lui, au final, qui décidera. Déjà expérimentée au Musée d’art moderne de Nice, la « Near Field Communication » y fera une entrée remarquée. Conçue pour se décliner dans tous les aspects de la vie au quotidien (paiement, titre de transport…), cette technologie consiste en une puce informatique insérée dans le smartphone, sur laquelle est enregistré le profil du « mobinaute ». Au musée, la puce se déclenchera à proximité des émetteurs placés le long du parcours, pour fournir des informations (audiovisuelles) selon le profil renseigné et les besoins individuels – en cas de handicap par exemple.
C’est une version modernisée du code « QR » (codes-barres améliorés), dont la Cité de la céramique à Sèvres a équipé ses salles rénovées ; un système aussi pratique que contraignant pour les paresseux car chaque objet demande la répétition du geste de lecture du code. Le « Louvre-DNP Museum Lab », laboratoire du Musée du Louvre et de Dai Nippon Printing, expérimente pour sa part ses créations au Japon avant de les importer en France. Le département des Objets d’art du Louvre et la Cité de la céramique ont été les premiers à bénéficier de deux tables numériques interactives, qui enrichissent de manière significative la visite. Le Musée d’histoire naturelle de Lille a également mis à disposition une table tactile détaillant la collection minéralogique du musée. Et pour les structures plus modestes, le ministère de la Culture a réédité son appel à projets concernant des « services numériques culturels innovants ». Lancée en 2010, cette initiative sélectionne plusieurs prototypes pour les tester au sein d’institutions culturelles.
Géolocalisation
Pendant de l’application pour smartphone, l’audioguide téléchargeable est aussi en pleine expansion. Il présente l’avantage d’être moins onéreux que l’audioguide distribué sur place – au Musée du Luxembourg, à Paris, l’audioguide pour « Cézanne et Paris » (jusqu’au 26 février) est disponible à 4 euros, contre 2,39 euros pour un téléchargement que l’on peut conserver ad vitam aeternam. En dépit d’une tendance à la hausse, son utilisation n’est pas encore entrée dans les mœurs, et ces téléchargements ne représentent en moyenne que 5 % du marché des audioguides. Parmi les établissements souhaitant anticiper ces nouveaux réflexes numériques, la Pinacothèque de Paris ne propose d’audioguides qu’en téléchargement. Enfin, certaines institutions vont jusqu’à prêter des outils multimédias (le Musée archéologique de Saint-Raphaël, le Musée de l’armée à Paris, le Musée des lettres et des manuscrits à Bruxelles…). Le Musée du Louvre se distingue cependant par son nouvel audioguide. Bénéficiant du mécénat de compétence technique de Nintendo, le Louvre prévoit de distribuer dès le mois d’avril 5 000 consoles Nintendo 3DS – contre moins de 2 000 audioguides à l’heure actuelle –, cela pour un montant moindre (5 euros contre 6 euros actuellement). Outre qu’elle offre un choix de visites, cette console permet d’utiliser la géolocalisation. Les visiteurs ne pourront plus se perdre grâce à ce système qui détecte les émetteurs placés dans les salles – leur position est automatiquement inscrite sur le plan du musée. Agnès Alfandari, chef du service multimédia au Louvre, explique que l’objet a été choisi, entre autres, en raison de son succès mondial. Et les néophytes n’auront aucune peine à naviguer sur cette console d’usage très intuitif.
Signalons enfin que les plateformes commerciales iTunes ou Android Market contiennent des « applications parasites ». Chacun devient ici libre d’éditer livres, DVD ou applications pour smartphone à partir des collections publiques, à condition que les droits de reproduction des images soient acquittés. Seul l’usage de la marque, propriété intellectuelle du musée, est interdit. Dans le doute, mieux vaut se référer aux produits officiels, car ces applications sont de qualité souvent médiocre, quand il ne s’agit pas d’arnaques – Agnès Alfandari cite un pseudo-audioguide pour le Musée du Louvre qui ne fonctionne que connecté à un réseau 3G ou Wi-Fi, chose impossible dans le palais aux murs trop épais.
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La culture au bout du fil
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°363 du 17 février 2012, avec le titre suivant : La culture au bout du fil