CHARLEVILLE-MÉZIÈRES
À Charleville-Mézières, une exposition est à voir du bout des doigts, grâce à la réinterprétation en volume d’œuvres picturales que permettent les nouvelles technologies.
Charleville-Mézières (Arden-nes). Cet été, le Musée de l’Ardenne, conjointement avec le Musée Rimbaud, propose une expérience inédite avec une exposition entièrement accessible aux déficients visuels grâce à une réinterprétation de toiles en 3D.
Caresser la tête de Rimbaud blessé à Bruxelles en 1873, effleurer les broderies du buste de Charles de Gonzague, fondateur de Charleville au XVIIe siècle, plonger les mains dans le pot de La Teilleuse de chanvre immortalisée par Eugène Damas au XIXe siècle… Ces expériences sensorielles d’un nouveau genre sont à vivre au Musée de l’Ardenne dans le cadre de « L’essentiel est invisible à nos yeux ».
Pour la première fois en France, des œuvres picturales sont réinterprétées en 3D et réalisées en volume « grâce à la fabrication additive », explique Rémy Closset. Cet ancien architecte devenu malvoyant et administrateur de l’association Valentin-Haüy se consacre depuis plusieurs années, en partenariat avec l’Institut de formation technique supérieur (IFTS) de Charleville-Mézières, à la modélisation d’œuvres architecturales (stade de pékin, Philharmonie de Paris, Musée Rimbaud…), d’archives et de peintures en bas relief creusées au fraisage.
Cette fois, c’est dans le cadre d’un appel à projets régional sur l’innovation sociale, lancé par le consortium Smart Art et piloté par l’association Lire aussi, qu’il a pu dépasser ses limites « grâce aux machines de l’université ». « Ici, on est au top, en particulier avec la Teilleuse de chanvre de Damas, la “Joconde” de l’exposition… Je ne sais pas si je pourrais aller plus loin », confiait-il le jour de l’inauguration.
Pour faire passer de la 2D à la 3D les douze toiles et estampes présentées, près de 150 jours de travail ont été nécessaires. « Ces peintures transformées en sculpture, c’est très efficace. On peut explorer les contours, aller plus en profondeur », commente Fabrice Simondon. Déficient visuel, ce dernier a rejoint le groupe de testeurs qui, pendant deux ans, a aidé le consortium Smart (1) Art à développer la meilleure façon de transmettre les émotions picturales à des malvoyants et non-voyants. « Pour une fois, il s’agit d’une vraie exposition, avec de nombreuses œuvres. »
« Le tableau tactile n’est pas une fin en soi », observe la directrice du Musée de l’Ardenne, Carole Marquet-Morelle. Le « principe de réminiscence » a permis de le compléter par d’autres outils de médiation : fiche de salle en gros caractères, cartel en braille, reproduction de l’œuvre sur une toile mobile à regarder à la loupe, lecteur MP3 avec un commentaire accompagnant la découverte tactile, illustration sonore… Et bien sûr l’œuvre originale, « au centre de tout », ainsi que le traditionnel texte explicatif à destination des voyants.
À l’image de la fabrication additive, cette expérience est destinée à s’étoffer : « La méthodologie que le consortium a développée donnera lieu à une publication », précise Carole Marquet-Morelle, et « elle a vocation à voyager ».
(1) réunissant l’université technologique de Troyes ; l’association Valentin-Haüy ; le SAVS Michel-Fandre ; l’ IFTS, fablab Smart Materials, et les musées de Charleville-Mézières.
jusqu'au 16 septembre, Musée de l'Ardenne, 31, place Ducale, 08000 Charleville-Mézières.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : La 3D révolutionne l’accessibilité à l’art