Les nouveaux militants de la transformation de l’action publique, dans le domaine du numérique, du design ou de l’administration, ont créé un programme de recherche et de formation commun.
Le service public doit faire sa mue. Défis de société, enjeux de sécurité, révolution digitale, exigences écologiques, réorganisation territoriale, contraintes budgétaires… Nombre de métiers sont à réinventer pour répondre, demain, aux besoins des agents comme aux attentes des usagers.
Un Fonds pour la transformation de l’action publique a été doté de 700 millions d’euros sur cinq ans par le gouvernement. Sur le terrain, les initiatives de transformation se multiplient. La Poste développe de nouvelles prestations comme l’aide aux seniors pour l’utilisation d’une tablette numérique ou la collecte des déchets de bureau. L’idée de faire du design un levier de la transformation des politiques publiques monte également en puissance. Avec deux objectifs : remettre l’usager au cœur de l’action publique et recréer du sens. Gadget ou piste d’avenir ? Depuis le début des années 2000, la démarche s’est diffusée aux États-Unis, en Asie, en Amérique latine et en Europe, notamment au Danemark avec le « MindLab », l’emblématique laboratoire de politique publique financé par plusieurs ministères. Après quelque temps d’expérimentation, la chaire Innovation publique créée en 2017 par l’ENA (École nationale d’administration) et l’Ensci (École nationale supérieure de création industrielle) consacre enfin l’approche en France.
Conjuguer la pensée analytique et la pensée intuitive, entrecroiser les espaces de réflexion dans un processus horizontal et non linéaire, privilégier la cocréativité, autant d’impératifs attachés à la démarche design. Des projets menés avec la Gendarmerie nationale, la Cour des comptes ou encore la Bibliothèque nationale de France permettent à l’Ensci de roder sa méthode, en lien avec le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, puis la direction interministérielle de la transformation publique. « Comment se détache-t-on de l’existant pour ouvrir une capacité à penser ? Comment faire autrement et mieux ? », résume Olivier Hirt, coresponsable de la chaire pour l’Ensci. Pour lui, le design a des atouts spécifiques, comme le souligne également Françoise Waintrop, coresponsable de la chaire pour l’ENA : « Le designer sait observer un terrain, réfléchir à des usages, ce qui est fondamental pour comprendre où et quoi transformer. Il est capable de repenser des objets. Or, en politique publique, tout se traduit finalement en objet : un formulaire, un espace d’accueil, un site Internet… Le designer a aussi la culture du prototypage. Il teste, voit les erreurs, adapte. Enfin, grâce à ses outils propres, le dessin, la maquette, le designer sait représenter une pensée et impliquer la population. Un dessin, c’est magique, tout le monde comprend ! » La chaire constitue ainsi une plate-forme d’acculturation réciproque entre futurs hauts fonctionnaires et designers, à la fois lieu d’expérimentation, de recherche, de formation initiale et continue, et vise en quelque sorte, comme le dit Yann Fabès, directeur de l’Ensci, à « introduire un vortex dans le cortex ! »
Au sein d’un groupe encadré par un designer réunissant des élèves de l’ENA et d’Epitech (école d’informatique) et, Philippe Wen, 24 ans, élève en 2e année à l’ENA, travaille sur la gestion de la sécurité publique avec la préfecture du Bas-Rhin. « Le design apporte une grande liberté intellectuelle. Il ne faut surtout pas la brider ! » Le futur haut fonctionnaire ajoute : « Le designer a une vision stratégique de l’outil à concevoir. Quand on reste entre nous, on tourne en rond ! » Pour autant, le design s’inscrit aujourd’hui en marge de la scolarité, comme le pointe Sarah Ghobadi, 30 ans, élève en 2e année à l’ENA : « Le module “Innovation publique” est une formation-action qui comprend trois temps – la découverte du design, le “nudge” (approche comportementale), l’“hackaton” (sprint créatif) – mais ne fait pas partie des épreuves classantes à la sortie de l’ENA. Il faudrait repenser la scolarité pour permettre des parcours personnalisés, et pourquoi pas un parcours “innovation publique”. »
Stimuler l’« esprit rebelle », décaler le regard, encourager la pluridisciplinarité…, la mise en situation des élèves de l’ENA doit permettre de faire émerger des visions prospectives de l’action publique. De leur côté, les jeunes designers, rompus à l’« expérience utilisateur », aiguisent leur passion du service public. Cécile Canel, 29 ans, et Émeline Lavocat, 27 ans, diplômées de l’Ensci, ainsi que Léa Finot, 27 ans, diplômée de Science Po Grenoble et attachée territoriale, conduisent des projets dans le cadre de l’accélérateur de la chaire avec la direction générale de la Cohésion sociale, comme avec les Hauts-de-France autour de la fracture numérique et de l’« illectronisme ». « Nous proposons un regard, une logique, une méthode, pas un objet tout ficelé. Pour nous, le but est que les administrations renouent avec les réalités des usagers. C’est un enjeu démocratique majeur ! »
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Une chaire « Innovation publique » partagée entre l’ENA et l’Ensci
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°503 du 8 juin 2018, avec le titre suivant : Une chaire « Innovation publique » partagée entre l’ENA et l’Ensci