Design

Art et design : liaison dangereuse

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2011 - 1092 mots

FRANCE

Le marché promeut de plus en plus le mariage entre l’art et le design, même si le succès est loin d’être toujours à la clé.

« Trafic d’influences ». Le titre de l’exposition des collections d’art et de design, orchestrée par le Fonds régional d’art contemporain (Frac) Nord - Pas-de-Calais en 2004, soulignait bien le flirt poussé entre les deux sphères. La Fiac, à Paris, a d’ailleurs consacré l’union de ces domaines en intégrant, en 2005, une section « Design », aujourd’hui disparue. Le design est même allé jusqu’à s’insinuer sur les stands de galeries d’art contemporain. En 2008, à la foire Frieze de Londres, la galerie Jablonka (Cologne) a présenté des sièges de Ron Arad à des prix audacieux allant de 450 000 à 800 000 euros. 

Mélange des disciplines
De nombreux artistes se sont ingéniés à semer le trouble entre les disciplines. Ainsi l’Autrichien Tobias Rehberger a-t-il obtenu le Lion d’or à la Biennale de Venise en 2009 pour… sa cafétéria pop et op’art. De son côté, Jorge Pardo a produit des lampadaires et environnements glissant vers la décoration. Des pièces dérangeantes qui génèrent nombre de questions : une œuvre d’art peut-elle être fonctionnelle ? quelle en est la définition ? qu’est-ce qui la différencie d’un objet usuel ? Plus troublant, l’Atelier Van Lieshout a court-circuité les différents répertoires en produisant, dans les années 1990, des bureaux, sanitaires et autres objets fonctionnels dans une matière rugueuse, presque mal finie, en pied de nez à un design léché. En 2004, la galerie Jousse Entreprise (Paris) présentait à la Foire de Bâle sa maison-utérus, achetée six ans plus tard par le collectionneur Antoine de Galbert. Voilà trois ans, la même galerie cédait, à la Fiac, une de ses capsules habitables pour 38 000 euros à une collection italienne. À cheval sur deux champs, Joep Van Lieshout ne cherche pas tant à produire des « objets » qu’un programme artistique et social. 

Trop commercial  pour être honnête
Tel n’est pas le propos d’une nouvelle niche qui se présente sous l’appellation choc « Art design ». Le marché n’a jamais été très magnanime envers le mobilier d’artiste, à l’image des tables basses d’Arman souvent perçues comme des produits dérivés, trop commerciaux pour être honnêtes. Seuls Claude et Xavier Lalanne ont réussi à tirer leur épingle du jeu avec leur bestiaire fonctionnel, prisé par le décorateur Peter Marino. En 2009, madame Fendi a même acheté un bar du duo réalisé pour le couple Bergé-Saint Laurent, chez Christie’s, pour 2,7 millions d’euros.

Le libellé « Art design » tient davantage du marketing que d’une utopie d’un art total. « L’Art design concerne souvent de mauvais artistes ou de mauvais designers, tranche le marchand parisien de design Didier Krzentowski. Lorsque Pharrell Williams [producteur de hip-hop] fait du design, c’est comme lorsque Sylvester Stallone fait de la peinture. » Reste que certains éditeurs se sont glissés dans ce créneau. Chez Carpenters Workshop, on parle de « sculpture fonctionnelle ». « On se voit plutôt comme une branche de l’art contemporain qu’une branche du design. Pour nous, une sculpture ne perd pas en noblesse s’il y a un élément fonctionnel », indique Loïc Le Gaillard, codirecteur de la galerie qui prend pied à Paris. « Quand il y a une fonctionnalité, elle est bien réelle et se différencie ainsi du mobilier d’artiste », ajoute son associé Julien Lombrail. L’enseigne, qui édite notamment des bancs de Pablo Reinoso (45 000 à 80 000 euros) ou des objets un brin « déco » de l’Atelier Van Lieshout (8 000 à 250 000 euros), va prochainement initier une collaboration avec l’artiste Yinka Shonibare. À Bruxelles, la galerie D&A Lab édite, depuis cinq ans, des meubles créés par des artistes de renom comme Jonathan Monk ou Michel François. Éditées à sept exemplaires et deux épreuves d’artiste, les tables de Jonathan Monk en hommage à Donald Judd valaient 9 000 euros pour les premiers exemplaires, et 11 000 euros pour les autres numéros. Les lustres de Fabrice Gygi se négocient à 15 000 euros. « Le critère principal est que l’objet créé par un artiste pour D&A s’intègre intellectuellement à sa démarche artistique, souligne Isolde Pringiers, codirectrice de la société. Il ne faut pas que cela devienne un exercice de style, que les artistes essayent de jouer aux designers. Leur approche doit être égale à leur implication dans l’une de leurs œuvres. » Sauf que le plasticien, peu habitué aux contraintes, doit intégrer dans son cahier des charges une limite de taille : la fonctionnalité.

La société new-yorkaise Cumulus Studios, initiée par Nathalie Karg, introduit pour sa part une seconde obligation : que les « meubles » produits puissent être installés en extérieur. Les résultats ne sont toutefois pas toujours heureux. Ainsi la série de chaises longues de l’Américain Mike Bouchet, présentée cette année entre 6 300 et 11 000 euros par Cumulus Studios sur la foire Design Miami, à Bâle, laissait-elle perplexe… 

De l’art, ou du design ?
Si certains créateurs sont sollicités par les éditeurs, d’autres franchissent eux-mêmes le Rubicon. Le Français Xavier Veilhan a ainsi réalisé un bateau bleu roi, baptisé RAL 5015, proposé en juillet 2010 par Artcurial sur une estimation de 180 000 à 200 000 euros. Invendue lors de la vacation, la vedette a finalement trouvé preneur par la suite. « Je me fiche de la définition qu’aurait cette pièce, indique Veilhan. Je la vois comme un objet, mais très souvent, je trouve les objets surchargés. Là, j’ai tout enlevé pour ajouter de la couleur. Il n’y a rien d’inutile. Ce n’est pas une métaphore, mais un objet reconnu et un objet de plaisir. »

Des « objets de plaisir » que les collectionneurs regardent parfois encore avec circonspection. « Ils sont positifs, mais l’acte d’achat, c’est autre chose, admet Isolde Pringiers. La valeur ajoutée qu’offre la fonctionnalité n’en est pas une en terme de prix, qui reste inférieur par rapport à une œuvre d’art. » Le libellé « Art design » est enfin à double tranchant car, parfois, des designers comme Ron Arad succombent aussi à la pente artistique, et s’abandonnent à une création hybride en prenant leurs distances avec les fondamentaux du design : le moindre coût, l’utilitaire, la rationalisation… 

Légende photo

Jonathan Monk, table basse 1984, 2010, acier galvanisé, laqué, 150 x 100 x 45 cm, édition de 7 exemplaires. Courtesy D&A-Lab, Bruxelles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : Art et design : liaison dangereuse

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