À Eymoutiers, l’Espace Rebeyrolle expose le maître des lieux dont la puissance visuelle reste intacte.
EYMOUTIERS - « Boulimique ». C’est le mot qui vient immédiatement à l’esprit devant les œuvres de Paul Rebeyrolle (1926-2005). Boulimique, car l’artiste faisait feu de tout bois, en associant à ses travaux des matériaux trouvés, « très peu travaillés, sinon leur vérité s’en va », selon ses propos cités dans le catalogue publié à l’occasion. En vrac, terre, crin, ferraille, peaux d’animaux, plumes, vieux tissus, grillages… Rarement le terme consacré par l’art contemporain « technique mixte » se méritait davantage. La peinture de Rebeyrolle se fait relief, assemblage ; des recouvrements successifs, des représentations violentes naissent d’une stratification qui déborde le cadre (Le Grand Arbre, 2000).
Cependant, on ne naît pas matiériste, on le devient. La quasi-rétrospective organisée à Eymoutiers (Haute-Vienne) à l’occasion du vingtième anniversaire du lieu s’ouvre sur les années d’après guerre, quand Rebeyrolle pratiquait la peinture à l’huile, parfois dans des formats monumentaux (Les Abattoirs de la Villette, 1948). Figuratifs, ses tableaux ne sont pas pour autant réalistes et encore moins affiliés au réalisme socialiste, ce style qui sacrifie souvent l’esthétique à la politique. Et pourtant, la politique n’est jamais absente du parcours de celui qui, dans les années 1950, expose régulièrement au très engagé Salon de la Jeune Peinture et s’inscrit en 1953 au Parti communiste (qu’il quitte à la suite des événements de Hongrie).
Dénoncer l’injustice
Chez Rebeyrolle, toutefois, il s’agit avant tout d’utiliser l’art comme un moyen de dénoncer l’injustice sociale. Moins misérabiliste que celle de Bernard Buffet, son œuvre « noire » – pour employer un terme de l’historien de l’art Bernard Ceysson – se rapprochant de celle de Francis Gruber et de ses personnages sombres, aux formes géométrisées. Même si cette partie de la production plastique de Rebeyrolle apparaît moins singulière, elle permet au visiteur de constater une cohérence thématique dans toute l’œuvre du peintre.
Suit l’explosion matiériste qui débute dans les années 1970 et se caractérise par la création de séries dont chaque titre claque comme un manifeste (« Faillite de la science bourgeoise », 1973 ; « Natures mortes et pouvoir », 1975 ; « Le sac de Madame Tellikdjian », 1983 ; « Le monétarisme », 1997-1998 ; « Clones », 2000…).
Le geste est radical car, contrairement à la tradition artistique qui consiste à apprivoiser la matière informe, à en dégager une forme parfaitement contrôlée, bref à transformer la nature en culture, Rebeyrolle offre des images en gestation, une peinture qui parle de sa propre genèse. On y voit les voluptueux empâtements d’un pinceau lourdement chargé former des paysages fragmentés, où terre et couleurs se mélangent, des femmes qui offrent au regard une version brutale de L’Origine du monde de Courbet, des natures mortes déglinguées et comme en décomposition, des corps gargantuesques déformés qui perdent leurs contours.
Mais ce sont surtout les animaux qui semblent retrouver leur état d’origine, comme si leur chair se transformait en chair de la peinture. Ainsi, Le Sanglier (1996) ou La Carpe et le lapin no 0 (2003), magnifiquement stylisés, évoquent-ils dans leur aspect archaïque l’art pariétal. « Mes arbres dérangent, parce qu’on ne peut pas domestiquer la nature », affirmait Rebeyrolle. On pourrait en dire autant pour ses bêtes.
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Paul Rebeyrolle, un art engagé
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 30 décembre, Espace Paul Rebeyrolle, route de Nedde, 87120 Eymoutiers, tél 05 55 69 58 88, www.espace-rebeyrolle.com, tlj 10h-18h (10h-17h en décembre), entrée 5 €. Catalogue, 96 p., 27 €.
Légende Photo :
Paul Rebeyrolle, Nu à l’étoffe rouge, 1969, série « Coexistences », peinture sur toile, 200 x 200 cm, collection particulière.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°441 du 18 septembre 2015, avec le titre suivant : Paul Rebeyrolle, un art engagé