La Philharmonie de Paris a été inaugurée le 14 janvier en l’absence notable de son architecte en chef Jean Nouvel. Ce dernier déplore l'ouverture qu’il estime prématurée du lieu inachevé sur le plan architectural et technique, tout en se dédouanant du retard accumulé et du dépassement budgétaire. La controverse n’enlève rien à la grande réussite de la Philharmonie : sa salle de concert inédite.
PARIS - Attendue depuis deux ans, la nouvelle Philharmonie de Paris a été enfin inaugurée le 14 janvier dernier par le président François Hollande et la maire Anne Hidalgo. La grande salle, ouverte pour la première fois au public, accueillait ce soir-là l’Orchestre national de Paris sous la direction du chef Paavo Järvi. Parmi les 2 400 spectateurs privilégiés de ce concert, on constatait l’absence programmée des architectes. Jean Nouvel avait annoncé par l’envoi d’un communiqué de presse, ce même jour, qu’il n’assisterait pas à l’ouverture du lieu, considérant celle-ci comme prématurée. Il signait par ailleurs un long article dans Le Monde daté du 15 janvier, dans lequel il développait un ensemble d’arguments constituants ce qui est devenu aujourd’hui « l’affaire de la Philharmonie ».
Selon Nouvel, « le bâtiment a été ouvert dans un planning ne permettant pas de respecter les exigences architecturales et techniques » et il n’est en rien à l’origine des dépassements budgétaires faramineux. Non sans une certaine violence, il s’indignait (à juste titre) du jugement d’Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture lorsqu’il lui avait montré les atteintes à l’œuvre et qu’elle lui avait répondu : « Les gens trouveront cela très bien quand même ». Enfin, il n’hésitait pas à dénoncer les « décisions économiquement désastreuses » d’un cost killer [cabinet de réduction de coûts] allié au directeur général de la Philharmonie, Laurent Bayle, dont les décisions étaient taxées au passage de régaliennes.
Un chantier enlisé dans les surcoûts
Jamais on aurait pu imaginer que la décision annoncée en 2006 par Renaud Donnedieu de Vabres de construire un complexe de musique donnerait lieu à un scénario aussi ubuesque et dans lequel l’ego surdimensionné de Jean Nouvel a trouvé pleinement à s’exprimer. Sans entrer dans les méandres économiques du projet qui nécessiterait un travail d’enquête approfondi, il semblerait qu’à la Villette, Jean Nouvel se soit lui-même piégé par les règles tacites régissant les grands concours. Elles sont pourtant notoires : pour éviter la surenchère des architectes et des entreprises et pour n’effrayer personne, les enveloppes budgétaires initiales sont sous-évaluées de 10 à 30 %. Les architectes comptent ensuite sur le prestige des programmes et les réseaux qui les sous-tendent pour tirer le projet vers l’achèvement. Mais en période de disette économique, le stratagème devient fatal. Ici, même avant les dérives budgétaires, le coût proposé aux candidats avait été minimisé de 41 %. Au final et pour des raisons qui restent obscures, l’opération est passée de 200 à 386 millions d’euros et elle connaît deux ans de retard. Pour toutes ces raisons, une pluie de critiques s’est abattue sur le projet noyant presque dans l’oubli sa programmation, de même que l’édifice construit.
Faussement serein, mais parfaitement clair et déterminé, Laurent Bayle expliquait le 14 janvier lors d’une conférence de presse les objectifs de la Philharmonie. L’idée est de renouveler et rajeunir le public des répertoires classiques à l’image de celui qui fréquente la salle Pleyel. Pour cela, « le moment du concert sera mis en regard avec d’autres modes d’appropriation de la musique comme des ateliers de solfège, la possibilité d’assister à la préparation des concerts ou encore des expositions », expliquait le directeur général de la cité de la Musique et président de la Philharmonie.
Une salle acoustique aérienne et novatrice
Ces enjeux se structurent autour de la grande salle de la Philharmonie qui, elle, représente un « coup de maître ». Conçue et réalisée par les Ateliers Jean Nouvel associés avec l’architecte Brigitte Métra, celle-ci est totalement novatrice car les architectes avaient reçu carte blanche de la part des commanditaires. Les concepteurs ont alors imaginé une salle asymétrique toute en rondeur et dite « enveloppante ». Les spectateurs sont répartis tout autour de la scène dans des balcons aux formes arrondis et suspendus dans le volume de la grande salle. L’accès se fait par des passerelles et les murs du fond réverbèrent le son qui circule sans jamais se cogner sur quelque élément que ce soit. Au plafond des nuages acoustiques réflecteurs participent de cet enveloppement sonore. Le tout est habillé de bois vernis et la salle décline du bas vers le haut des tonalités allant du noir vers le miel comme cela se faisait dans les salles baroques. Ayant pour fonction de diffuser la musique, les petits cubes en relief qui habillent les parois peaufinent la beauté de l’ensemble. De tailles différentes et inscrits de manière chahutée, leur pose n’a jamais été aléatoire. La forme de départ conçue par les architectes a été mise au point durant de longs mois à l’aide des acousticiens les plus réputés, les équipes de Marshall Day et de Nagata. Au moment opportun, une maquette géante et onéreuse à l’échelle 1/10e fut réalisée afin de vérifier qu’il n’y avait pas d’échos négatifs.
Au-delà de la réussite de la salle, le reste de l’édifice laisse dubitatif et la logique structurelle reste à ce jour incompréhensible. Les zones de circulation baignées dans la peinture noire et les grossiers escaliers sont d’une banalité affligeante, en regard du programme. Surtout, elles ne tirent aucunement parti de la plasticité contrariée de l’ensemble et certaines parties vitrées sont cachées par des résilles métalliques au détriment des vues sur le parc. Quant au revêtement extérieur fait de 340 000 oiseaux d’aluminium de sept formes et quatre teintes différentes, il fait davantage penser à l’œuvre d’un travailleur du dimanche qui se serait fourni chez Leroy Merlin plutôt qu’à un envol musical ; d’autant plus qu’il en manque quelques-uns, la pose n’étant pas terminée. Il est encore trop tôt pour juger des espaces publics et de l’accroche du bâtiment au parc. Hélas, on déplore d’ores et déjà que la promenade piétonne permettant d’accéder au toit ne soit ouverte qu’à la descente et non pas à la montée. Tout ça, pour ça ?
Maître d’ouvrage : Association de la Philharmonie de Paris
Financement : État, ville, région
Maître d’œuvre : Ateliers Jean Nouvel.
Maître d’œuvre pour la salle de concert : Ateliers Jean Nouvel associé pour la conception et réalisation à Brigitte Métra & Associés
Superficie : 93 000 m2
Coût : 386 millions d’euros
Acousticiens : Marshall Day Acoustics ; Nagata Acoustics ; studio DAP
Dispositifs scénographiques : Ducks scéno
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Les fausses notes de la Philharmonie
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Abonnez-vous dès 1 €La grande salle de concert de la Philharmonie de Paris, lors de la soirée d'inauguration. © Photo : AFP/Charles Platiau.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : Les fausses notes de la Philharmonie