Au Grand Palais, l’exposition « Mexique » montre comment les arts plastiques ont été mis au service du peuple, tout en créant leurs propres propositions esthétiques.
Confondu dans l’esprit du public avec le muralisme des « trois grands » (Diego Rivera, David Alfaro Siqueiros et José Clemente Orozco), l’art mexicain de la première moitié du XXe siècle semble indissociable de la Révolution de 1910. En destituant la dictature de Porfirio Díaz au profit d’une constitution d’inspiration socialiste, l’événement favorisa dans les années 1920, au terme d’une guerre civile féroce, l’émergence d’un art national « de valeur idéologique pour le peuple », « d’éducation et de lutte » (dixit Siqueiros), soutenu par le gouvernement et la commande publique et fondé à la fois sur la mise en valeur de l’héritage préhispanique, la « défense et illustration » des traditions populaires et la digestion des avant-gardes européennes – cubisme en tête.
Au-delà du muralisme
« Mexique » au Grand Palais n’est pas de nature à défaire cette vision d’une production artistique locale fondant sa spécificité sur son allégeance au pouvoir politique et sa capacité à hybrider modernité et expressions populaires : la Révolution en constitue l’épicentre, et c’est autour de ce pivot que l’exposition déroule l’histoire si singulière de l’art mexicain. Elle réaffirme ainsi le rôle majeur qu’y ont tenu les muralistes, dont les trois principaux représentants sont abordés dans leur originalité – Orozco comme témoin de la violence politique et révolutionnaire, Siqueiros comme théoricien d’un art monumental adossé à l’idéologie socialiste, Rivera comme tenant d’une utopie sociale fondée sur la mise en récit de l’histoire nationale. Ce faisant, l’événement souligne aussi la qualité des liens qui unissent dès la fin du XIXe siècle le Mexique à l’Europe – liens que la Seconde Guerre mondiale, marquée par l’exode outre-Atlantique d’une poignée de peintres surréalistes (dont le « pape » Breton), offrira de régénérer dans le réalisme magique d’une Frida Kahlo.
Soucieuse de renouveler le regard porté sur la modernité mexicaine et d’en expurger la part du stéréotype, l’exposition entend pourtant aller au-delà du seul muralisme. Étendues à un cadre temporel qui va de la seconde moitié du XIXe siècle à 1950 environ (avec même quelques incursions du côté de l’art contemporain), les « renaissances » dont le Grand Palais décrit la succession s’inaugurent, bien avant la Révolution, dans la République de 1867 et la nécessité qui naît alors d’une cohésion nationale forgée grâce à la peinture d’histoire, au portrait et aux scènes de genre. Dès cette époque pourtant, l’art mexicain n’est pas réductible à son caractère de propagande : le romantisme, le réalisme, l’art nouveau ou le décadentisme y sont autant d’échappées hors de la sphère politique – comme le sera dans la période postrévolutionnaire le stridentisme, héritier du futurisme italien porté par Manuel Maples Arce, Ramón Alva de la Canal, Germán Cueto et Fermín Revueltas. Éclipsées par l’ombre de Rivera et consorts, ces alternatives à l’art national ont en commun de tenir à une certaine distance l’idéologie socialiste. « Il nous a semblé important de démontrer que la renaissance de l’art mexicain ne repose pas uniquement sur des concepts idéologiques, mais sur des propositions esthétiques », confirme Agustín Arteaga, directeur du Musée national d’art de Mexico et commissaire de l’exposition, dans un entretien donné au Grand Palais.
Révolutionnaires au féminin
Dans l’exposition, cette profusion n’est pas seulement stylistique, mais disciplinaire. En piochant dans la gravure, la photographie, la tapisserie, l’exposition souligne aussi la diversité des expressions artistiques écloses autour de la Révolution de 1910, et pointe tout ce qui, dans l’art mexicain, s’abouche au politique au-delà de la seule peinture. Y figure notamment un ensemble de gravures de José Guadalupe Posada, du groupe ¡30-30!, de la Ligue des écrivains et artistes révolutionnaires et, plus tard, de l’Atelier de graphisme populaire, mais aussi nombre de photographies signées Manuel et Lola Álvarez Bravo ou Tina Modotti. Enfin, l’exposition se distingue par le nombre d’œuvres réalisées par des femmes (Frida Kahlo, Nahui Olin, Olga Costa, Tina Modotti ou Lola Álvarez Bravo…) – histoire d’abattre une ultime idée reçue quant au machisme supposé de l’art national mexicain.
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Viva la création mexicaine !
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du 5 octobre 2016 au 23 janvier 2017. Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10 h à 20 h. Nocturne le mercredi jusqu’à 22 h. Tarifs : 13 et 9 €. Commissaire : Agustín Arteaga. www.grandpalais.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°694 du 1 octobre 2016, avec le titre suivant : Viva la création mexicaine”‰”‰!