Une immersion dans l’art pariétal et rupestre s’accompagne de la présentation d’objets et œuvres préhistoriques parmi lesquels la Vénus de Lespugue, grande inspiratrice des artistes contemporains.
Paris. Créations artistiques chez l’Homo Sapiens, source d’inspiration pour l’art contemporain ? On se souvient de la belle exposition du Centre Pompidou, « Préhistoire, une énigme moderne » (2019), qui a montré que cette période de l’histoire ne laisse pas les artistes indifférents. Nombre d’entre eux explorent ce passé lointain.
À son tour le Musée de l’Homme met en scène cette quête qui a le mérite d’échapper à la vision linéaire pratiquée par l’histoire de l’art traditionnelle. En toute logique, la part de la préhistoire est ici dominante. Le visiteur embarque ainsi pour un voyage spectaculaire dans le temps à l’aide de dispositifs audiovisuels qui le plongent au cœur de sites célèbres de l’art rupestre, situés un peu partout dans le monde. On reste ébloui par cette immersion à l’intérieur des grottes aux parois ornées de dessins énigmatiques par nos ancêtres.
Mais « Arts et préhistoire » propose également un ensemble d’objets et d’artefacts réalisés il y a quelque 40 000 ans : outils, plaques gravées et sculptures. Parmi ces dernières, une vedette incontestée : la Vénus de Lespugue, découverte en Haute-Garonne en 1922. Façonnée dans une défense de mammouth, cette statuette minuscule – 14,7 cm – aux fesses, hanches et seins hypertrophiés, est bien loin du canon classique de la beauté féminine fourni par la Grèce hellénistique. Ce n’est pas la grâce parfaite que dégage cette œuvre mais un sentiment d’un archaïsme puissant qui a frappé des artistes dont plusieurs – du reste pas très nombreux – sont exposés dans l’une des salles du musée. Archaïsme car la sculpture d’Ossip Zadkine, Vénus (1938), s’inscrit dans la mouvance primitiviste, influencée par les civilisations extra-occidentales, africaines ou ibériques du début du XXe siècle. Cette distinction est importante car l’impact du primitivisme, inséparable du contexte colonialiste, est, dans l’ordre stylistique, facilement repérable.
Les références archaïques d’ordre universel et anhistorique sont plus diffuses et renvoient à l’idée d’un corps féminin non idéalisé. Réalisée par Louise Bourgeois, Femme (2005, [voir ill.]) et ses formes lourdes semble désavouer toute la série des nus que les artistes – hommes – ont produit pour la jouissance esthétique de regardeurs – hommes.
Ailleurs, l’œuvre de Laure Prouvost Parle Ment Branches (2020), présentant des attributs sexuels féminins en plâtre fixés sur des branches, est une vision ironique du regard masculin qui s’arrête uniquement sur ces parties du corps. Plus loin, l’artiste roumaine Alexandra Sand a fait mouler deux fois son propre corps, de la tête à l’entrejambe, pour former un double gisant érotisé, réuni par le bassin (Another Self, 1919). Enfin, une version abstraite magnifique de la Vénus de Lespugue en albâtre est proposée par Gabriel Sobin (Venus albâtre, 2022), tandis que la vidéo d’Anna Ginsburg enchaîne à travers un fondu l’image de corps de femmes, muses d’artistes célèbres. Son titre, What is Beauty (2018), ne déplairait pas à l’illustre Vénus de Lespugue.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°603 du 20 janvier 2023, avec le titre suivant : Une Vénus féconde au Musée de l’Homme