Le Musée Marmottan-Monet réunit une sélection de l’art du trompe-l’œil mettant en lumière la virtuosité de certains artistes.
Paris. Pour célébrer son 90e anniversaire, le Musée Marmottan-Monet met en valeur sept trompe-l’œil provenant de sa collection fondatrice, léguée par Jules et Paul Marmottan. Un art qui réclame une grande virtuosité tandis qu’il est d’un accès facile pour le spectateur, ce qui l’a desservi au XIXe siècle.« Le trompe-l’œil peint, et c’est là son grand défaut, ne doit avoir en vue que le fini poussé jusqu’aux dernières limites, le fini que l’on appelle, avec raison, en style d’atelier : “le fini bête” »,écrivait Jules Adeline dans L’Art du trompe-l’œil publié par l’Académie de Rouen en 1893. Le genre, qui ne se définit que par la forme (l’illusionnisme), mêle en réalité des travaux d’artistes aux préoccupations parfois diamétralement opposées. Cette plasticité est aussi sa force puisqu’il a pu trouver une nouvelle vigueur au XXe siècle, notamment avec le groupe Trompe-l’œil/Réalité ainsi qu’avec l’Arte povera et les hyperréalistes.
L’exposition, sous le commissariat de Sylvie Carlier et Aurélie Gavoille, réunit une centaine d’œuvres et céramiques illustrant bien cette diversité à travers le temps, de 1520 à nos jours. La salle d’introduction en pose d’emblée les multiples racines, depuis Deux Grappes de raisin (1677) de Nicolas de Largillière, hommage à Zeuxis, l’artiste grec de l’Antiquité dont les raisins peints attiraient les oiseaux, jusqu’aux quodlibets (pêle-mêle) en passant par la nature morte. Si Armoire aux bouteilles et aux livres (vers 1520-1530), d’un anonyme allemand, fut considéré à son apparition sur le marché en 1950 « comme un incunable de la nature morte indépendante », le tableau est « avant tout un trompe-l’œil » spécifie le cartel. Cependant, tandis que la première salle d’exposition évoque la genèse du trompe-l’œil (Zeuxis), la naissance de la nature morte en trompe-l’œil indépendante n’est pas analysée. Or, dans son livre L’Instauration du tableau (Droz, 1999 pour la seconde édition revue et corrigée), Victor I. Stoichita montre l’origine religieuse de ce genre dans la peinture moderne. Le fait est d’une grande importance car, parallèlement aux trompe-l’œil purement décoratifs et ludiques, une grande partie de la production garde cet esprit de la vanité ou du memento mori. Trompe-MUS2E Marmottanl’œil (1665) et Armoire en trompe-l’œil (1665) de Cornelis Gijsbrechts, tout comme Trompe-l’œil (deuxième moitié du XVIIe siècle) de Jean-François de Le Motte, que Cornelis Gijsbrechts a fortement influencé, sont des vanités parce que ces tableaux renvoient à la « progression implacable du temps », comme le note Aurélie Gavoille dans le catalogue. Il faut ajouter, et c’est important pour comprendre la place actuelle du trompe-l’œil, qu’il s’agit aussi de « méditation[s] sur la représentation picturale » puisqu’elles contiennent une toile ou une estampe, évocations de cette « machine à illusions qu’est “la peinture” » selon Stoichita. Nombre de trompe-l’œil sont ainsi des œuvres méta-artistiques dont les besicles qui y souvent représentées indiquent l’intention du peintre, quand des loupes invitent à apprécier l’illusionnisme dont il est capable.
Ces propos échappaient certainement au commun des spectateurs d’autrefois comme ils peuvent nous paraître secondaires aujourd’hui. Nous continuons à nous enchanter de la virtuosité et de l’humour dont font montre les artistes qui utilisent toutes les ficelles du genre : faux papiers manuscrits sur lesquels ils inscrivent souvent leur signature et le nom de leur commanditaire, débordement de l’œuvre sur le cadre, que l’on trouve aussi dans les sculptures, telle La Grive morte (vers 1775) de Jean Antoine Houdon. Le XVIIIe siècle est la période la plus féconde en France : Gaspard Gresly peint une Porte de bibliothèque recto-verso (vers 1750) – les toiles doublant à l’époque une porte réelle – et Anne Vallayer-Coster feint des sculptures en grisaille. Jean-Étienne Liotard avec Trompe-l’œil au portrait de Marie-Thérèse d’Autriche (vers 1762-1763) et Jean Pillement dans Trompe-l’œil avec ruban turquoise devant un paysage de la campagne portugaise (vers 1780-1800) assument la dimension originelle de réflexion sur la peinture. Au tournant du siècle, Louis-Léopold Boilly est le dernier à interpréter brillamment cette partition.
Tandis qu’aux États-Unis, le genre survit au XIXe siècle avec la Seconde École de Philadelphie, John Frederick Peto notamment dont la National Gallery de Washington a prêté des tableaux, il faut attendre le surréalisme pour qu’il redevienne un sujet en France. La Terre (1926) et Papillon (1933) de Pierre Roy, références à la peinture du XVIIe siècle, préludent à La Déchirure (1981) représentant la Joconde dans un emballage déchiré, une toile d’Henri Cadiou (voir ill.), créateur du groupe Trompe-l’œil/Réalité. Sacrée conversation, Anselmo, Zorio, Penone (1974), une sérigraphie sur miroir de Michelangelo Pistoletto, ou Jade (2015), une sculpture hyperréaliste de Daniel Firman, continuent d’interroger le rapport de l’artiste et du spectateur à l’œuvre d’art. Un questionnement que les commissaires poursuivent en évoquant les peintres qui ont été mobilisés dans la section Camouflage de l’armée pendant la Première Guerre mondiale.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : Une brève histoire du trompe-l’œil