PARIS
Confié à une société internationale d’organisation d’événements, le « Toutânkhamon Tour » fait étape à Paris dans la Grande Halle de la Villette. Espérant rivaliser avec la fréquentation de 1967, l’exposition mobilise des moyens considérables.
Paris.« Nous avons enfin fait une merveilleuse découverte. Un splendide tombeau scellé encore intact. Il a été recouvert avant votre arrivée. Félicitations. » Lorsque Howard Carter envoie ce télégramme à Lord Carnarvon le 5 novembre 1922, se doute-t-il que cet événement va embraser le monde et faire d’un tout jeune pharaon mort à 18 ou 19 ans un personnage légendaire mondialement connu ?
Dès la découverte, Carter, en bon communicant, organise la médiatisation de la découverte, invite têtes couronnées et journalistes, fait du marketing culturel avant l’heure. Ensuite, le pharaon va servir à valoriser le patrimoine égyptien, devenant un ambassadeur des richesses archéologiques du pays. Depuis, Toutânkhamon est une célébrité, dont les tournées, forcément internationales et rarissimes, suscitent à chaque fois une passion et des chiffres hors-norme dans le monde des expositions.
En 1967, la fameuse « exposition du siècle » au Petit Palais réunit 1,2 million de visiteurs en sept mois. Après une nouvelle tournée à la fin des années 1970, la carrière internationale du pharaon est stoppée : une pièce endommagée pendant le transport conduit les députés égyptiens à voter une loi interdisant la sortie des principaux objets de la tombe. Il faudra attendre le milieu des années 2000 pour voir ressortir d’Égypte les objets de la fameuse tombe KV62. En 2006, une exposition de répliques de la tombe est programmée, avec une étape parisienne en 2012 à la porte de Versailles : dans une ambiance un peu « kitsch », sarcophages, masques et objets sont mis en scène sur un plateau de près de 4 500 m2. Plus de 250 000 visiteurs se pressent pour contempler des copies, une première en France, et un signe que la « Toutânkhamonmania » ne faiblit pas.
En 2017, le ministère des Antiquités égyptiennes signe un contrat avec l’entreprise américaine d’événementiel IMG pour une « tournée d’adieux » des objets de la tombe, destinés à être abrités dès 2022 dans le nouveau Grand Musée Égyptien (GEM) en construction au pied des pyramides de Gizeh. Pour le ministre des Antiquités el-Enany (lire portrait page 4), l’intérêt est de raviver l’égyptomanie au niveau mondial, afin de retrouver les niveaux de fréquentation touristique de l’Égypte avant la révolution de 2011. À nouveau, les chiffres donnent le tournis : une valeur d’assurance d’un milliard de dollars est évoquée, un avion Boeing 777 est affrété avec le soutien de FedEx, un objectif de 10 millions de visiteurs est clairement affiché.
Pour l’étape parisienne, l’organisation américaine a choisi la Grande Halle de la Villette et son plateau de 2000 m2 en forme de boîte noire, apte à accueillir la scénographie en pénombre de l’exposition. Les larges espaces devant la Halle seront également pratiques pour faire patienter les longues files d’attente attendues. Après une campagne médiatique intense, 150 000 billets ont été prévendus, un chiffre inédit pour les préréservations d’expositions permanentes, surtout avec une grille tarifaire allant jusqu’à 24 euros.
Le Musée du Louvre, qui fait partie du consortium de musées européens conseillant le Musée égyptien du Caire sur son projet scientifique, prête une sculpture monumentale et l’expertise de Vincent Rondot, directeur du département des Antiquités égyptiennes du Louvre.
Au détour des salles plongées dans l’obscurité, l’histoire et la passion suscitée par la découverte de 1922 prennent sens. Parmi les 5 000 objets répertoriés dans la tombe, les organisateurs ont fait une sélection de 150 pièces, dont 60 sorties d’Égypte pour la première fois. Certes, ni le masque funéraire en or massif, ni le trône, ni aucun sarcophage de la tombe n’ont fait le voyage. Le visiteur parisien a appris que les principes de conservation prévalent, à l’instar de l’exposition « Guernica » au Musée Picasso sans… Guernica, qui ne bouge plus de son musée madrilène. D’autres pièces maîtresses sont là, palliant cette absence, comme le splendide naos en bois doré, au décor si fin qu’il fascina les découvreurs de la tombe, ou l’une des deux statues gardiennes du tombeau, majestueuse en bois noir et doré [voir illustration]. Un gant en lin brodé de soie émeut, témoignage d’un quotidien ayant traversé les millénaires. La médiation écrite, grand public et généreuse, mène le visiteur de vitrine en vitrine, dans une scénographie élégante à l’éclairage impeccable, où les ors rayonnent et font ressortir les détails de la meilleure production de la XVIIIe dynastie. L’orfèvrerie, réunie autour d’éléments de la momie dans une scénographie spectaculaire, impressionne par sa finesse et sa richesse. Il faut s’arrêter devant le cercueil miniature canope, qui sert d’affiche pour l’exposition : haut de 40 centimètres, il impressionne par sa monumentalité.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°520 du 29 mars 2019, avec le titre suivant : Toutânkhamon, Une exposition Pharaonique