PARIS
Au-delà de la merveille stupéfiante que constituent tant d’objets de l’art égyptien (que l’on trouve depuis plus d’un siècle dans quelques-uns des plus beaux musées du monde, et en ce moment dans une exposition temporaire magnifique, qui fait le tour d’Europe), l’engouement planétaire pour cet art est le signe d’autre chose : notre passion pour la longue durée, si menacée aujourd’hui par notre égoïsme destructeur, par la précarité que fabrique notre société, par l’incertitude même qui pèse sur la survie de l’espèce humaine.
Car c’est bien la fonction de l’art égyptien que de préparer l’immortalité de cette civilisation, à travers celle de leurs pharaons et de leurs dirigeants. Et c’est bien notre faillite que de ne plus pouvoir leur garantir ni leur immortalité, ni la nôtre.
En définitive, ces objets, dont certains datent de plus de quatre millénaires, nous renvoient à une question terrible : que restera-t-il de nous dans quatre mille ans ? Ou même, plus crûment : y aura-t-il encore une humanité en l’an 6000 ?
De cela, les Égyptiens ne doutaient pas. Ils avaient, certes, le sens de la catastrophe, en affrontant les crues du Nil ou les invasions venues du Sud et de l’Est. Mais ils ne doutaient pas de leur immortalité. En un monde ou un autre. Et ils faisaient tout pour la préparer. La vie, pour eux, n’était qu’un moyen de se préparer à l’immortalité.
Plus généralement, ceux de nos ancêtres, Égyptiens, Mésopotamiens, Chinois, Indiens, et tant d’autres, dont nous avons la trace aujourd’hui, ne pensaient sans doute pas avec précision aux humains qui les suivraient. Ils ont tout fait, en tout cas, en cherchant à créer les conditions de leur propre immortalité, pour nous laisser des traces, des messages.
C’est cela, plus généralement, que l’art nous dit, plus que tout autre chose : sommes-nous, femmes et hommes d’aujourd’hui, capables de transmettre encore pendant longtemps le message des frères humains qui nous ont précédés ? De laisser une trace aussi forte que celle de nos ancêtres ? De créer les conditions pour qu’il y ait encore une humanité après nous ? Enfin, nous qui avons, en laïcisant l’univers, si largement écarté l’idée d’un autre monde, où l’immortalité serait possible, que faisons-nous pour affronter la précarité de notre univers ?
C’est à cela qu’il faut penser en voyant ces trésors : pourquoi les seules choses qui nous restent du passé sont des objets si savamment cachés qu’ils ont pu échapper aux pilleurs pendant des millénaires ? Qu’avons-nous fait de notre planète ? Sommes-nous avant tout des prédateurs, des destructeurs, que rien n’arrête, même pas le pillage des tombes ? Sommes-nous incapables de créer les conditions pour que, dans cent ans, mille ans, quatre mille ans, une humanité sereine, cultivée, bienveillante, se tourne vers nous avec reconnaissance et non pas, si elle existe encore, en nous maudissant ?
Courrez voir cette exposition. Et pensez à ceux qui devront un jour assumer nos réponses à ces questions.
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De quoi nous parle notre fascination pour l’Égypte ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°520 du 29 mars 2019, avec le titre suivant : De quoi nous parle notre fascination pour l’Égypte ?