Art contemporain

Splendide Djamel Tatah

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2023 - 676 mots

MONTPELLIER

Le Musée Fabre revient sur plus de trente-cinq années de création, des années 1980 jusqu’aux dernières œuvres réalisées dans l’atelier de l’artiste, qui s’est récemment installé à Montpellier.

Montpellier. C’est « le regard que pose Djamel Tatah sur le grand art classique, dans la continuité duquel il s’inscrit », qui a donné envie à Michel Hilaire, directeur du Musée Fabre, de lui consacrer une exposition, cinq ans après celle de la Collection Lambert, à Avignon. On ne peut que s’en féliciter, car si l’on voit régulièrement des tableaux de cet artiste dans des expositions collectives, on a peu eu l’occasion jusqu’à présent de se plonger dans l’ensemble de son œuvre. Or Djamel Tatah est un peintre important. L’accrochage du musée montpelliérain propose un regard rétrospectif sur ses débuts, dès sa sortie de l’École des beaux-arts de Saint-Étienne, tout en abordant son parcours d’un point de vue thématique. Au centre de ce projet, la volonté de mettre en évidence la théâtralité silencieuse des toiles de l’artiste. Celle-ci se traduit d’abord par le choix de « travailler à l’échelle 1, explique Tatah, afin d’impliquer le spectateur, de l’inviter dans la scène comme dans un miroir ». Le procédé est frappant dès le hall, où la silhouette à la fois frontale et effacée d’un homme tête baissée, mains dans les poches, réitérée dans douze grandes toiles d’une même série (Sans titre, 2005, voir ill.) pose également le principe de la répétition, caractéristique de ce travail. Tout comme le sont les grands aplats colorés, quasiment des monochromes, d’où surgissent ses figures hiératiques, à la façon d’apparitions dans les scènes mystiques de Piero della Francesca ou Fra Angelico. Cet effet de surgissement et ce rapport au corps du visiteur sont renforcés dans l’exposition par l’accrochage volontairement bas des toiles.

Les influences de Basquiat et Warhol

Djamel Tatah se nourrit d’images qu’il puise aussi bien dans l’art classique donc, que dans le cinéma néoréaliste italien ou le spectacle vivant, notamment la danse. Il a aussi – c’est moins évident – beaucoup regardé Jean-Michel Basquiat, figure émancipatrice pour un jeune homme issu de l’immigration, né en 1959 dans la banlieue de Saint-Étienne. Ses premiers tableaux sur des planches de chantier en bois brut témoignent de cette admiration pour l’artiste afro-américain. Djamel Tatah conservera ce support jusqu’au milieu des années 1990, avant d’opter pour des châssis traditionnels. Il dit avoir été frappé aussi par sa rencontre avec les « Shadows » d’Andy Warhol. « J’ai compris, explique-t-il dans le catalogue, que faire de la peinture, c’était aussi occuper un espace. Un tableau doit être un espace en soi, et en même temps, investir l’espace dans lequel il est installé. » Et c’est bien l’expérience que l’on peut faire dans cette exposition.

Le début du parcours rassemble quelques œuvres anciennes qui disent tout, d’emblée, des thèmes que l’artiste ne va jamais cesser d’explorer, avec une constance radicale. Notamment le rapport à l’architecture, évident dans le triptyque Autoportrait à la stèle (1990) et cette façon de fixer la durée, de la faire entrer dans la toile, qui confère à ses modèles anonymes une intensité dramatique. Djamel Tatah ne peint pas de portraits. La dimension psychologique ne l’intéresse pas, affirme-t-il. Il recherche et s’astreint au contraire à mettre ses sujets à distance, réservant, lorsqu’il les esquisse, la ligne de base du dessin. Celle-ci évolue ensuite avec le passage sur la toile des différentes couleurs. « Je cherche une vibration », explique Tatah, qui conçoit sa peinture comme un dialogue entre les aplats colorés et ses personnages, déjouant l’antinomie entre abstraction et figuration. La « théâtralité silencieuse » qui constitue une des clefs de lecture de cette œuvre, selon Maud Marron-Wojewodzki, conservatrice responsable des collections modernes et contemporaines du Musée Fabre et commissaire de l’exposition, n’exclut pas la dimension politique de certains tableaux, comme le monumental Les Femmes d’Alger (1996). Ni cette part infiniment sensible dans une démarche que l’on devine chargée de mélancolie et qui parvient, dans sa façon d’insister, à reprendre d’un tableau à l’autre les mêmes postures, les mêmes visages au teint pâle comme des masques, à créer sa propre temporalité, et ainsi à échapper au temps.

Djamel Tatah, le théâtre du silence,
jusqu’au 16 avril, Musée Fabre, 39, boulevard Bonne Nouvelle, 34000 Montpellier.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°602 du 6 janvier 2023, avec le titre suivant : Splendide Djamel Tatah

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