Art moderne - Sculpture

XXE SIÈCLE

Richard Guino, un talent désorienté

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 13 octobre 2023 - 588 mots

PERPIGNAN

Le sculpteur catalan ne s’est jamais remis de sa collaboration avec Pierre-Auguste Renoir.

Perpignan. Poursuivant sa mise en lumière d’artistes liés à la Catalogne, Pascale Picard, la directrice du Musée Hyacinthe-Rigaud, consacre son exposition estivale à un inconnu au parcours pourtant remarquable à plus d’un titre. Né à Gérone en 1890, de l’autre côté de la frontière, Richard Guino (1890-1973) suit les cours de l’école d’art locale avant de se perfectionner à Barcelone. Il veut être sculpteur et réalise quelques bustes. Puis il s’installe à Paris en 1908 comme bon nombre d’artistes étrangers. C’est un très bon sculpteur (et dessinateur), marqué par les maîtres anciens qu’il va souvent voir au Louvre. Ces deux caractéristiques vont lui offrir l’opportunité de travailler pour deux monuments de l’art - Pierre-Auguste Renoir et Aristide Maillol – tout en poursuivant ses propres travaux, sans que l’on puisse mesurer vraiment l’influence de ces collaborations sur son art qui s’est arrêté « aux portes de la modernité », comme le dit joliment l’un des panneaux de salle.

La situation est plus simple avec Maillol qu’il aide à mouler l’une des figures – Le Printemps – commandées par Ivan Morozov pour Moscou. Cette sculpture partage de nombreuses similitudes avec son Torse de femme nue sans tête, ou sa Vendangeuse : forme élégante et modelé lisse. La filiation avec Maillol est manifeste dans la composition, entre Le Désir de Maillol et Jeune couple à la fleur de Guino. Mais là où Maillol introduit une tension spectaculaire dans les visages des amants, Guino reste béatement idéaliste, ce qu’il est sans doute un peu.

Une œuvre de collaboration avec Renoir

La collaboration avec Renoir est plus dense mais aussi plus tragique. Atteint de polyarthrite Renoir ne peut presque plus peindre. Inquiet de voir tarir une source importante de revenus, son marchand Ambroise Vollard lui propose de faire réaliser en sculpture des figures de ses toiles, l’assurant que Guino retranscrira fidèlement ses tableaux et ses instructions. Il promet à Guino en échange de s’occuper de ses propres œuvres. Cette collaboration dure quatre ans, de 1913 à 1917, avant que Renoir n’y mette un terme réalisant que « son » œuvre sculptée n’était peut-être pas vraiment la sienne. Elle a en tout cas fait gagner beaucoup d’argent à Vollard, propriétaire des droits de tirage sur les 8 esquisses et 14 sculptures abouties, uniquement signées Renoir.

L’un des attraits de l’exposition est de comparer la figure peinte de Renoir avec sa transcription en trois dimensions. Plutôt Renoir ou plutôt Guino, les deux versions de Vénus [voir ill.] tirées du Jugement de Pâris ? Quelle est la part de Guino dans le portrait en sculpture d’Aline Renoir ? Ou dans le buste de Pâris ? Ces questions, le tribunal se les posera cinquante ans plus tard quand, désargenté, Guino demandera à la justice de pouvoir co-signer ces œuvres, ce qu’elle lui accordera au terme d’un marathon judiciaire.

« Guino s’est effondré après la rupture avec Renoir », explique Pascale Picard. Guino perd une collaboration enrichissante, Vollard ne lui donne plus de nouvelles, et sa compagne et muse Eulalie Verdier meurt de la grippe espagnole en 1919. Il abandonne alors la grande statuaire pour se tourner vers la sculpture décorative : plats en céramique, vases, dessus de cheminée, pendules… Cette production aimable témoigne d’un indiscutable savoir-faire, mais elle manque de personnalité et de vigueur. Guino passe à côté de l’Art déco comme il a traversé l’art moderne sans trop s’y intéresser. Maillol et Renoir ont-ils accentué son inclination classique ? Serait-il devenu l’égal d’un Antoine Bourdelle sans ces collaborations ?

Guido - Renoir, la couleur de la sculpture,
jusqu’au 25 novembre, Musée Hyacinthe-Rigaud, 21, rue Mailly, 66000 Perpignan.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°618 du 6 octobre 2023, avec le titre suivant : Richard Guino, un talent désorienté

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