Aristide Maillol, un moderne singulier

Paris. Plus de deux cents œuvres exposées dont des dessins jamais montrés, le prêt exceptionnel de quatre sculptures de la Fondation Oskar Reinhart de Winterthur et un catalogue fouillé analysant les recherches de l’artiste autour de chaque figure exposée font de cette rétrospective la première de cette importance dévolue à Aristide Maillol (1861-1944) à Paris depuis 1961. Certes, la Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, qui a prêté nombre d’œuvres, entretient la mémoire de celui auquel son dernier modèle, la Roumaine Dina Aïbinder, a consacré une bonne partie de sa vie. Mais l’espace largement ouvert du Musée d’Orsay, sous le commissariat d’Ophélie Ferlier-Bouat et Antoinette Le Normand-Romain, donne de la place aux œuvres et leur permet de dialoguer, modifiant la vision habituelle que l’on a de l’artiste.

La présentation chrono-thématique commence par un ensemble de peintures et d’œuvres d’art décoratif. « C’est Paul Gauguin et Maurice Denis qui, après mon départ de l’École, ont commencé à m’ouvrir les yeux », a déclaré Maillol à sa biographe Judith Cladel. Arrivé à Paris en 1882, il s’est inscrit dans plusieurs ateliers avant d’être admis à l’École des beaux-arts en 1885. Il rencontre Paul Gauguin en 1889 grâce à son ami George-Daniel de Monfreid. Il est aussi sensible à Pierre Puvis de Chavannes et à Georges Seurat. Deux versions de La Couronne de fleurs (l’une venant de Copenhague datée de 1888-1889 et l’autre de Tokyo, de 1889) montrent ces diverses influences. Ses deux grandes réussites, Profil de jeune fille (vers 1890) et La Femme à l’ombrelle (vers 1892, voir ill.) rappellent, s’il en était besoin, son talent certain pour la peinture.

On sait moins à quel point il s’est passionné pour les arts décoratifs. Il crée des broderies dès 1890 (il ouvre un atelier à Banyuls-sur-Mer, son village natal, en 1894) et en produira jusqu’en 1903. Au début de 1904, une maladie des yeux lui fait définitivement abandonner cette pratique, mais il a eu la joie de voir Gauguin admirer l’une de ses broderies, au Salon de la libre esthétique de Bruxelles en 1894. Grâce à la tapisserie, Maillol a dans le même temps rencontré les Nabis, très intéressés par les arts décoratifs et avec lesquels il reste lié. Il commence à sculpter des figures dans le bois – Figure drapée dite Chinoise (vers 1894-1895) serait, d’après son témoignage, la première – et découvre le travail de la terre, semble-t-il en 1895, les premiers grands formats étant postérieurs à 1897. La Fillette à genoux (vers 1895-1898) est encore impressionniste tandis que ce qu’on a appelé les « tanagras », ces statuettes de la même période représentant des femmes, montre déjà le souci de simplification des formes et le refus de l’expressivité qui seront sa marque.

La première sculpture de grande dimension conservée est le plâtre en relief Femme au bain (1903) « présentée, précise le texte de salle, grâce à Auguste Rodin à un emplacement favorable au Salon de la Société nationale des beaux-arts ». En 1907, Maillol écrit à Maurice Denis : « Ma recherche, ou mon désir serait que ma sculpture ne soit pas impossible dans un jardin français. » Méditerranée, commandée par l’État français en 1923 pour être placée dans le jardin des Tuileries, est une version de marbre un peu figée de la sculpture en pierre Femme assise dite aussi Méditerranée (1905-1910) réalisée pour le collectionneur Harry Kessler. Contrairement au marbre des Tuileries, c’est Maillol lui-même qui l’a taillée : « Je n’avais jamais touché l’outil. J’ai d’abord essayé sur une pierre, pour voir le maniement, puis j’ai attaqué la statue. » Près d’elle est exposé le plâtre de fonderie de La Nuit (1909) à propos de laquelle Rodin déclarait : « On oublie trop que le corps humain est une architecture, mais vivante. » Monument à Cézanne en marbre rose du Canigou (1912-1925) et le plâtre de fonderie de L’Air (1938-1939, voir ill.) qui en dérive sont montrés avec huit terres cuites dont l’une, Étude pour le Monument à Cézanne, dit aussi Première étude pour « L’Air » (1907-1910) témoigne du passage d’un sujet à l’autre.

En 1907, Kessler recommande à Maillol un jeune homme, Gaston Colin, pour lui servir de modèle dans la conception du bas-relief Le Désir (1907) dont une fonte est présentée ici. Par la même occasion, il demande une statue du « petit coureur cycliste et jockey », qui est son amant. « Les anciens ont bien fait des portraits d’athlètes. Eh bien, c’est un portrait d’athlète », déclarera Maillol lors de sa présentation au Salon d’automne de 1909, peu à l’aise même si Rodin trouve Le Cycliste (1907-1908) « très bien ». « C’est trop nature, finira par avouer Maillol. À cause de cela, il gardera toujours une position un peu particulière dans mon œuvre. » Et c’était vrai : Maillol était décidément le sculpteur de femmes synthétiques et aussi, ce qu’on a moins l’occasion d’admirer, leur dessinateur. Le fusain Le Dos de Thérèse (vers 1920), la sanguine Étude pour Île-de-France (mouvement) (vers 1923), le fusain, pastel, crayon et sanguine L’Américaine (1935) ou le fusain Dina au foulard (1940) en témoignent magnifiquement.