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Le Musée Bourdelle, à Paris

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 25 avril 2023 - 1379 mots

Après deux ans de travaux titanesques, l’ancien atelier du sculpteur Antoine Bourdelle, devenu musée, a rouvert ses portes au public. Avec un tout nouveau parcours.

On s’attendrait presque à voir un modèle se rhabiller, ou à ce que le maître des lieux franchisse le pas de la porte, vêtu d’une longue blouse tachée de plâtre. Musée à l’atmosphère unique, l’antre d’Antoine Bourdelle a en effet su conserver intacte l’âme des lieux. Rien ne semble ainsi avoir bougé dans cet atelier qui a traversé les âges et paraît encore dans son jus, comme si on pénétrait dans la pièce telle que l’artiste l’a quittée il y a presque un siècle. L’illusion est totale. Bien malin celui qui décèlerait dans ce cocon épargné par les affres du temps les traces du chantier titanesque qui vient de s’achever, afin de préserver ce lieu de mémoire dont la sauvegarde relève du miracle. Car le paisible atelier, niché au fond d’une impasse placide à quelques mètres à peine du tumulte de Montparnasse, a bien été restauré de fond en comble et consolidé. Une nécessité absolue pour ce pan d’histoire artistique dont l’importance est proportionnelle à la précarité.

Un bâtiment fragilisé

Le bâtiment est de fait un des rarissimes témoignages des ateliers d’avant-garde. Érigé à la fin du XIXe siècle, il a été utilisé par Bourdelle et ses praticiens jusqu’en 1929, date de sa disparition. Ce vestige de la vie de bohème se distingue par sa modestie puisque l’atelier est constitué uniquement de frêles pans de bois et d’humbles briques. Rongé par l’humidité et fragilisé, le bâtiment était en souffrance : ses vitres tremblaient, sa façade était bombée et ses poutres s’affaissaient inexorablement. Pour le stabiliser, il a fallu éventrer le sol, combler les carrières sur lesquelles il repose presque directement et créer des fondations dignes de ce nom. Surtout, il a fallu imaginer une cage métallique tel un corset maintenant unie la structure. Absolument invisible de l’extérieur, cette armature, dont les poutres se fondent parfaitement dans l’architecture intérieure, compose un ingénieux mikado, renforçant aussi durablement que discrètement le monument. Ensuite, les lattes du plancher, numérotées, ont été remontées une par une et l’ensemble des œuvres et du mobilier a été replacé selon l’aménagement sanctuarisé au moment du trépas de l’artiste. Quelques incohérences dues aux aménagements apocryphes, comme la présence de bronzes dans un atelier où l’on travaillait le marbre et le plâtre, ont été amendées. Conformément aux photographies d’archives, d’autres objets ont en revanche fait leur retour. Les pièces collectionnées assidûment par le sculpteur ont notamment été redéployées, à l’image de ce grand christ médiéval. Les photographies d’époque ont aussi permis de retrouver les modalités de présentation qu’affectionnait Bourdelle. Grand chineur, l’artiste aimait accumuler des colonnes anciennes qu’il utilisait ensuite comme sellettes pour ses sculptures, à l’instar de la Tête de Beethoven posée sur un socle néogothique.

Un rêve exaucé

Depuis sa création en 1949, le musée a bénéficié de plusieurs campagnes de travaux. Celle-ci, qui a duré deux ans, permet enfin de traiter de manière cohérente la totalité du site, qui s’apparente à un collage de bâtiments de différentes époques. Près d’un siècle après la tentative infructueuse de Bourdelle de créer son musée, la boucle est donc enfin bouclée. Le sculpteur, soucieux de sa postérité, réfléchit en effet dès les années 1920 au devenir de son atelier et de ses œuvres. N’étant que locataire, il échoue toutefois à monter un projet et ses démarches auprès de l’État et de la Ville de Paris restent lettre morte. Après sa disparition, c’est sa veuve, Cléopâtre, qui reprend le flambeau. Soutenue par Gabriel Cognacq, mécène de Bourdelle et immense fortune, elle acquiert une partie des locaux et négocie avec la municipalité pour qu’elle donne la parcelle contiguë. Le projet est enfin lancé et les Ateliers Antoine Bourdelle sont inaugurés en 1949 dans une architecture entre cour et jardin où la brique, hommage à l’esthétique urbaine du Montauban natal du sculpteur, se taille la part du lion. Au fil des ans, les grands tirages en bronze investissent les espaces extérieurs et le musée s’étend. En 1992, Christian de Portzamparc crée ainsi une extension en béton destinée à accueillir les collections et les expositions. Outre l’atelier, le dernier chantier s’est attelé à la renaissance d’un autre lieu de travail et de vie : les ateliers de peinture du premier étage. Initialement occupé par Eugène Carrière, cet espace a par la suite hébergé l’appartement de la fille de Bourdelle, Rhodia, et de son époux, le décorateur Michel Dufet. Restauré, cet espace transformé en café permet de s’immerger dans un décor typique des années 1950. Étendu, le parcours a aussi été densifié : de nombreuses œuvres jusqu’ici en réserve font leur apparition dans le circuit de visite. Comptant cent dix sculptures et quantité de contretypes, dessins et photographies, il contextualise habilement l’œuvre de Bourdelle. Chronothématique et riche en contrepoints, ce parcours permet de comprendre la place cruciale de ce géant dans l’art du XXe siècle. Très pédagogique, il fait aussi le pari du choc esthétique avec des dialogues, des effets de scénographie et des télescopages qui démontrent l’extraordinaire puissance expressive de ce colosse.

La salle des techniques

Lieu de mémoire emblématique des avant-gardes, le Musée Bourdelle n’en demeure pas moins un établissement monographique à la pointe de la muséographie actuelle. Son parcours propose donc un accrochage moderne, ainsi que de nombreux outils de médiation. Un film d’animation accompagné de vidéos réalisées en motion design offrent par exemple une plongée très évocatrice dans la vie et la carrière de l’artiste. Mais le point fort du nouveau circuit est la salle des techniques entièrement réaménagée et repensée. On le sait, la sculpture demeure un art largement méconnu du grand public. Cette salle entend donc donner au visiteur toutes les clés, afin de comprendre simplement les principales étapes de réalisation d’une œuvre. Les processus de création et les différents métiers actifs au sein de l’atelier se dévoilent grâce à de très efficaces dispositifs didactiques. Textes, films, mais aussi matériauthèque permettent de se familiariser avec les notions-clés de cette pratique. Les questions de matériaux et de multiples sont par ailleurs explicitées grâce aux différentes étapes de « La Vierge à l’offrande ».

 

Musée Bourdelle,

18, rue Antoine-Bourdelle, Paris-15e. Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Entrée gratuite pour les collections. Tarifs des expositions : de 8 à 10 €. www.bourdelle.paris.fr

Main désespérée 

Cette main poignante est un témoignage de la première grande commande remportée par Bourdelle : le monument aux morts de Montauban. Inauguré en 1902, il lance sa carrière et lui fournit un intarissable répertoire de formes, dans lequel il puisera de nombreux éléments iconographiques qu’il traitera tels des fragments : des visages hurlants, des têtes expressionnistes, des bras musculeux et tendus et cette main désespérée qui concentre à elle seule toute la détresse et l’horreur de la guerre.


Pénélope 

S’il se passionne pour l’Antiquité, Bourdelle en offre toutefois une lecture entièrement renouvelée. Il façonne ainsi un vocabulaire éminemment moderne et subjectif renversant les codes du beau idéal. Avec ses courbes plus que girondes et sa monumentalité revendiquée, sa Pénélope provoque ainsi une petite révolution au Salon de 1912. Le public est sidéré tant par cette silhouette massive que par son traitement plastique, notamment l’aspect cannelé de sa tunique qui l’apparente à un fût de colonne.


Héraklès archer 

Difficile d’imaginer aujourd’hui la rupture qu’a provoquée cette œuvre au début du XXe siècle. Alors que Rodin, pour qui il a travaillé dix-huit ans, est considéré comme la référence moderne, Bourdelle invente une esthétique qui s’oppose pratiquement en tous points à celle du maître. Son héros à la virilité vitaliste impose presque instantanément ce canon archaïsant. Il incarne un souffle nouveau qui fait la part belle au dynamisme, au mouvement, à la tension et qui influencera durablement les générations suivantes.


Centaure mourant 

Le sculpteur confie qu’il a choisi ce motif, car la créature « meurt comme tous les dieux parce qu’on ne croit plus en lui ». Pourtant, plus qu’aucun autre artiste de sa génération, Bourdelle a voué un culte aux mythes gréco-romains. Les personnages issus des grands récits antiques (dieux, bacchantes, faunes et autres créatures) jalonnent ainsi sa carrière. Ce thème du centaure lui permet de traiter un sujet à la tonalité élégiaque, mais aussi de représenter un corps en mouvement aux formes originales.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°764 du 1 mai 2023, avec le titre suivant : Le Musée Bourdelle, à Paris

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