Histoire de l'art

Qu’est-ce qu’un portrait ?

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 22 mars 2016 - 1333 mots

Thème du festival Normandie impressionniste, actuellement à l’honneur au Musée des beaux-arts de Lyon et dans plusieurs expositions en France et en Europe, le portrait, et son corollaire l’autoportrait, s’affiche au cœur des expositions printanières… Mais comment le définir ?

Jean Clouet (1480-1541), Claude de Lorraine, Duc de Guise, c. 1528-1530, 29 x 26 cm, huile sur panneau, collection Palazzo Pitti
Jean Clouet (1480-1541), Claude de Lorraine, Duc de Guise, c. 1528-1530, 29 x 26 cm, huile sur panneau, collection Palazzo Pitti
Photo Wikimedia

Vous verrez, elle finira par lui ressembler ! », lance Picasso en 1906 à ceux qui osent remarquer que son portrait de Gertrude Stein ne ressemble pas au modèle. Le peintre espagnol y a consacré pas moins de trois mois de travail laborieux, et exigé par moins de quatre-vingt-dix séances de pose. À la fin, incapable de fixer les traits de la collectionneuse, il réduit ceux-ci à des masses géométriques, qui annoncent ses Demoiselles d’Avignon qu’il peindra quelques mois plus tard. Gertrude Stein, quant à elle, ne s’offusque guère du manque de ressemblance. Et pour cause : elle a l’œil, et se réjouit d’avoir chez elle ce Picasso. Désormais, on regardera plus la « main » de l’artiste que son modèle… Une révolution ? Sans doute. D’autant plus que la question de savoir qui on regarde – le modèle ou le génie de l’artiste – traverse l’histoire moderne et touche à l’essence même du portrait.

Naissance du portrait vers la fin du XIVe siècle
De fait, selon l’étymologie admise, le « por-trait » est une peinture mimétique, trait pour trait. Même lorsque le sujet n’en est pas une personne. « Avant l’apparition du portrait individuel, on peut parler par exemple du portrait d’une ville », observe l’historienne d’art spécialiste du portrait Alexandra Zvereva, auteure du Cabinet des Clouet au château de Chantilly, Renaissance et portrait de cour en France (éd. Nicolas Chaudun). La fidélité au sujet apparaît donc comme le critère essentiel. Le bon portraitiste serait-il donc simplement un bon « artisan » ? Au contraire. Car l’apparition du portrait individuel, dans l’histoire moderne, vers la fin du XIVe siècle, coïncide avec l’ascension sociale de l’artiste, qui se libère du système des corporations et commence à signer ses œuvres. Avec l’humanisme, la figure humaine est désormais digne d’être représentée, mais, en France, seul le roi a alors cet honneur. Et l’artiste digne de le représenter apparaît auréolé de gloire.
Il n’empêche que c’est bien le modèle qu’on regarde. Le premier portrait individuel de l’histoire moderne qui nous est parvenu serait celui du roi Jean le Bon. « Mais on ne sait rien à son sujet : le format que nous lui connaissons est-il vraiment celui d’origine ou a-t-il été découpé ? Et comment se fait-il qu’entre lui et le suivant que nous connaissons – celui de Charles VII par Jean Fouquet – pas moins d’un siècle se soit écoulé ? », relève Alexandra Zvereva. Toujours est-il que ces deux portraits royaux, reproduits pour être accrochés dans les châteaux et les municipalités, ont en commun de ne mettre en scène aucun attribut royal. Et pour cause, aucun élément distinctif n’apparaît nécessaire, puisque en France seul le roi apparaît digne d’avoir son propre portrait.

Le plus important : fixer les traits du modèle
Peu à peu, au XVIe siècle, la noblesse française accède à ce privilège royal. Au cours du XVIIe siècle, c’est au tour des bourgeois. Des codes – un regard droit, un certain port de tête – expriment les vertus nobiliaires… et ils en usent. Dès lors, le roi cherche à se distinguer. Pour cela, plus que jamais, il lui faut trouver le meilleur portraitiste, qui sache mettre en scène sa magnificence et diffuse le rayonnement de son règne. Louis XIV est ainsi à la recherche du portrait royal idéal, jusqu’à son portrait en costume de sacre par Hyacinthe Rigaud, qui reste encore pour nous « le » portrait royal par excellence.

Hyacinthe Rigaud ? Ce peintre, qui s’inspire de l’élégance du Flamand Van Dyck, se spécialise dans le portrait. Au XVIIIe siècle, ce genre est devenu très lucratif. « Ainsi, Rigaud fixe ses prix en fonction de la taille du tableau, de sa composition… La composition doit-elle être originale ? Doit-il peindre les mains ? Représenter la personne en pied ? Tous ces critères sont pris en compte ! », souligne Alexandra Zvereva. Toujours est-il que l’élément le plus important du portrait reste… le visage. « On n’avait qu’un ou deux portraits dans sa vie. Ce qui importait surtout était que le tableau fixe les traits de la personne », insiste l’historienne d’art.

Le portrait, une peinture idéologique
Même si chaque époque y imprime sa marque. Ainsi, au XVIIIe siècle, on met davantage en scène les sentiments familiaux – comme en témoignent les portraits de la reine Marie-Antoinette avec ses enfants, par Élisabeth Vigée Le Brun. Au XIXe siècle, les portraits de Napoléon témoignent de l’importance de l’idéologie qu’ils véhiculent. Ainsi, si le portrait équestre de Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard par David représente l’homme en conquérant, le tableau qui met en scène son sacre le montre sûr de son pouvoir et de sa force. « Le portrait est l’une des représentations les plus idéologiques qui soient, un peu comme la peinture d’histoire », reconnaît l’historien d’art Itzhak Goldberg, commissaire de l’exposition « Le visage qui s’efface. De Giacometti à Baselitz », à l’Hôtel des arts de Toulon en 2008, et auteur de son catalogue.
Or cette portée idéologique du portrait est sans doute ce qui en fait un genre réticent à un bouleversement plastique radical – « Comme si porter atteinte au visage et au “substitut de l’être” menaçait la notion même de personne », observe Goldberg. Ainsi, dans le portrait de Gertrude Stein par Picasso, la ressemblance n’est pas « trait pour trait »… mais en réalité, elle est bien là. Il s’agit avant tout d’un portrait conceptuel ; la description opère par des détails, de manière synthétique.

Cet impératif de ressemblance est sans doute l’un des facteurs qui poussent les artistes, au début du XXe siècle, à se détourner du visage. Les cubistes révolutionnent l’histoire de l’art à travers la nature morte. Et même dans les premières toiles des peintres qui se lanceront dans l’abstraction, la face humaine est généralement absente. Remarquons que la dernière toile figurative de Mondrian est un autoportrait : « Le visage, parfaitement classique, se découpe sur un fond parfaitement abstrait, constitué par l’une des premières toiles non figuratives du peintre. Dans ce dernier portrait de Mondrian, l’autoportrait est ainsi concurrencé par l’autocitation : les “traits” de Mondrian, c’est désormais à sa peinture qu’il faudra s’adresser pour les retrouver », écrit Itzhak Golberg dans son ouvrage Jawlensky ou Le visage promis (éd. L’Harmattan). De fait, la figure de l’artiste a pris de l’importance. C’est désormais son style qu’on regarde, plus que l’identité du modèle.

Le portrait au XXe siècle, une histoire de peinture
Le portrait est mort ? Vive le portrait ! Car le genre ne disparaît pas pour autant entièrement. Même si, au gré des recherches picturales de l’artiste, le visage s’estompe. Et c’est Giacometti, sans doute, qui porte la recherche de la limite du portrait à son paroxysme avec ses « portraits effacés », dans lesquels il ne cesse de gommer son dessin jusqu’à faire disparaître l’esquisse initiale… « Il veut être à la fois ni trop éloigné ni trop proche du modèle… c’est sans doute pourquoi il a détruit nombre de ses portraits », observe Itzhak Goldberg. Désormais, un détail de la personne suffit pour évoquer le modèle.

Or, si les artistes peuvent ainsi prendre leurs distances avec les présupposés de ce genre classique, c’est aussi du fait de l’avènement de la photographie, qui démocratise le portrait fixant les traits de la personne. Mais, paradoxalement, elle introduit dans un second temps un nouveau type de portrait peint. Ainsi, dans le pop art comme dans l’hyperréalisme, les individus sont parfaitement reconnaissables. « Mais l’image est désincarnée. Les caractéristiques de la photographie se sont déplacées sur la peinture », observe Itzhak Goldberg. Et pourtant, malgré la ressemblance « trait pour trait » avec le modèle, ce n’est pas seulement Marylin Monroe qu’on regarde sur une sérigraphie de Warhol. L’actrice y est avant tout… un Warhol.

« Braïtou-Sala (1885-1972). L’élégance d’un monde en péril »
Du 19 mars au 5 juin 2016. La Piscine, 23, rue de l’Espérance, Roubaix (59). Du mardi au jeudi de 11 h à 18 h, nocturne le vendredi jusqu’à 20 h, le week-end de 13 h à 18 h, fermé le lundi.
Tarifs : 9 et 6 €.
Commissaires : Alice Massé, Amandine Delcourt.
www.roubaix-lapiscine.com

« Belles de jour. Figures féminines dans les collections du Musée des beaux-arts de Nantes 1860-1930 »
Du 6 février au 29 mai 2016. Palais Lumière, quai Charles-Albert-Besson, Évian (74). Du mardi au dimanche de 10 h à 19 h, le lundi de 14 h à 19 h.
Tarifs : 10 et 8 €.
Commissaires : Blandine Chavanne, Cyrille Sciama, William Saadé.
ville-evian.fr/fr/culture/palais-lumiere

« Belles de nuit »
Du 16 avril au 18 septembre 2016. Musée d’art moderne Richard Anacréon, La Haute-Ville, place de l’Isthme, Granville (50). Du vendredi au dimanche de 14 h à 18 h, ouverture étendue du mardi au dimanche de 14 h à 18 h durant les vacances scolaires et de 11 h à 18 h à partir du 1er juin, fermé le lundi.
Tarifs : 4 et 2 €.
Commissaires : Brigitte Richart, Antoine Leriche.
www.ville-granville.fr

« Portraits de femmes »
Du 2 avril au 25 septembre 2016. Musée de Vernon, 12, rue du Pont, Vernon (27). Du mardi au dimanche de 10 h 30 à 18 h, fermé le lundi.
Tarifs : 4 et 2,50 €.
Commissaire : Judith Cernogora.
www.vernon27.fr

« Des visages, une famille : portraits de la famille d’Orléans, à l’époque des impressionnistes »
Du 17 juin au 18 septembre 2016. Musée Louis-Philippe, Château d’Eu, place Orléans-Bragance, Eu (76). Du mercredi au lundi de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h, fermé le mardi et le vendredi matin.
Tarifs : 5 à 2 €.
Commissaire : Alban Duparc.
www.chateau-eu.fr

« En/quête d’identité »
Du 11 mars au 12 juin 2016. Abbaye de Jumièges, 24, rue Guillaume-le-Conquérant, Jumièges (76). Tous les jours de 10 h à 12 h 30 et de 14 h 30 à 17 h, puis de 10 h à 18 h à partir du 15 avril.
Tarifs : 6,50 et 4 €.
Commissaires : Dominique Goutard, Jean-Luc Monterosso.
www.abbayedejumieges.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°689 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : Qu’est-ce qu’un portrait ?

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