Trois expositions photographiques se partagent la thématique de l’abstraction rarement explorée en France.
Rouen, Pontault-Combault et Vélizy-Villacoublay. Bien que récurrente dans l’histoire de la photographie, la question de l’abstraction n’a curieusement jamais fait l’objet d’une exposition importante dans un musée français. Les commissaires de l’exposition « Forme de lumière : 100 ans de photographie et d’art abstrait », à la Tate Modern, en 2018, Simon Baker et Emmanuelle de L’Écotais, s’étonnaient d’ailleurs que depuis « Sense of Abstraction » organisé par le MoMA en 1960, aucun musée ne se soit penché sur le sujet. La mise en relation entre photographie, peinture et sculpture était pourtant riche d’enseignements, surtout pour la partie historique, les dernières salles consacrées à la création contemporaine ne laissant entrevoir qu’une esquisse d’un retour à l’abstraction.
Le Frac Normandie Rouen, le centre photographique d’Île-de-France (CPIF) à Pontault-Combault et le centre d’art Micro Onde à Vélizy-Villacoublay reprennent cette thématique à leur compte en trois expositions remarquables au titre générique « La photographie à l’épreuve de l’abstraction ». La période est circonscrite aux années 2000-2020, le catalogue édité par Hatje Cantz élargissant le spectre.
Ces expositions donnent amplement matière à réflexion, d’autant que l’image abstraite produite actuellement suscite de multiples questionnements quant au statut de l’image à l’ère du numérique. L’abstraction en photographie se révèle en effet plus que jamais multiple, issue de démarches variées. Les trois institutions les appréhendent à travers quatre axes : la réactualisation des procédés anciens ; les nouveaux rapports à la nature, au paysage, à la science et au documentaire ; les approches formalistes renouvelées autour du prisme et des volumes notamment, et l’usage des technologies, impressions et programmes informatiques les plus pointus. Ces quatre sujets ne sont abordés qu’au Frac Normandie Rouen, le centre d’art Micro Onde se concentrant sur les matériaux et le CPIF sur l’approche formaliste et plus particulièrement sur la couleur – même si la distinction entre les deux parti pris se révèle parfois difficile à percevoir. De l’une à l’autre, on retrouve aussi certains photographes tels Walead Beshty, Nicolas Floc’h, Sébastien Reuzé, Wolfgang Tillmans ou James Welling, avec des travaux différents dans chaque lieu.
« On n’est pas dans l’abstraction de Kandinsky ou de Malevitch, ni dans la lignée du modernisme développé dans l’histoire de l’art du XXe siècle. Le développement rapide des techniques amène à une autonomie et redonne à l’abstraction une force, une actualité et une pertinence réelles », souligne Véronique Souben, directrice du Frac Normandie Rouen. Avec Audrey Illouz, directrice de Micro Onde, et Nathalie Giraudeau, directrice du CPIF, elle pose les jalons d’une réflexion telle que celle développée par le philosophe Vilém Flusser. « Ce que recherche le photographe tel qu’on l’entend dans le programme de l’appareil, ce sont des possibilités encore inexplorées des images informatives, improbables, jamais vues auparavant », rappelle-t-il dans son livre Pour une philosophie de la photographie.
Le report de ces expositions à l’automne pour cause de crise sanitaire n’a pas eu d’impact sur les choix d’origine, ou dans une moindre mesure pour le CPIF. Rien ne transparaît néanmoins, compte tenu de la qualité de la sélection finale en ce lieu, comme dans les deux autres, qui font la part belle aux artistes travaillant en France. Des commandes ont par ailleurs été passées à Marina Gadonneix, Sarah Ritter, Laure Tiberghien et Sébastien Reuzé.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°554 du 30 octobre 2020, avec le titre suivant : Photographie et abstraction réactivent leur relation