PARIS
L’artiste italien doit une bonne part de sa notoriété à son marchand.
Paris. Étranger, juif de surcroît, alcoolique, pauvre… aucune caractéristique n’est absente de cette image d’Épinal dans la plus pure tradition post-romantique. Même si tout n’est pas faux, avec Amedeo Modigliani (1884-1920), la fiction l’emporte souvent sur la réalité et – plus grave – l’œuvre devient l’illustration de la biographie. L’exposition présentée au Musée de l’Orangerie évite cependant cet écueil et se concentre sur les liens entre l’artiste et son marchand Paul Guillaume, à partir de 1914. Une manière de mettre une nouvelle fois en lumière les œuvres du galeriste qui font partie de la riche collection du musée, après l’exposition « Les arts à Paris chez Paul Guillaume : 1918-1935 », que lui avait déjà consacré le musée en 1993. Les commissaires, Cécile Girardeau, conservatrice du musée, et Simonetta Fraquelli, commissaire indépendante et historienne de l’art, montrent en quoi la collaboration avec Paul Guillaume a contribué à la notoriété de l’artiste italien et, chemin faisant, à son succès commercial, surtout posthume.
Les articles très documentés du catalogue témoignent des démarches effectuées par le marchand auprès des collectionneurs et auprès des galeries parisiennes où Amedeo Modigliani expose avec d’autres grands noms de la modernité. Malgré les répétitions – on retrouve systématiquement les mêmes éléments biographiques –, la qualité principale du parcours est de nuancer certains lieux communs : Modigliani a fréquenté le Musée d’ethnographie du Trocadéro et s’est intéressé aux arts africains bien avant sa rencontre avec Paul Guillaume ; en 1914, le passage abrupt de la sculpture à la peinture est essentiellement dû à la santé délicate de l’artiste qui doit s’éloigner de la poussière de l’atelier.
La salle qui met en scène les trois beaux portraits de Paul Guillaume (1914-1915), dont celui avec l’inscription « Novo Pilota », prouve l’importance du galeriste pour le peintre. Le style de Modigliani varie relativement peu durant sa courte carrière, qu’il s’agisse de la sculpture ou de la peinture. Les œuvres présentées au musée – toutes passées entre les mains du marchand – partagent souvent la forme typique du masque, inspiré essentiellement des masques Fang. Portraits ou visages, car l’artiste ne cherche pas à reproduire fidèlement tous les détails caractéristiques d’une personne singulière. Avec ces faces impassibles, constituées à partir de formes progressivement dépouillées, Modigliani tente le grand écart entre la singularité de la figure humaine et la perfection d’une forme idéale, entre la représentation de l’être et la force abstraite du contour.
Une différence se dégage toutefois entre les représentations masculines et féminines. Dans le cas des hommes, la ressemblance ne disparaît pas (Portrait de Moïse Kisling, 1915). Avec les femmes, les effigies sont nettement plus stéréotypées. Visage ovoïde, cou d’une longueur démesurée, épaules tombantes, yeux en amande dont le peintre supprime la pupille pour la remplacer par des taches bleues, violettes ou vertes, le tout semble partager un schéma commun. Perfection ou mièvrerie, élégance ou kitsch, modernité ou classicisme, on retrouve la même tendance avec le nu féminin, dont un exemple célèbre est présenté à l’Orangerie (Nu couché, 1917).
Modigliani fait partie de ces artistes qui ont la grâce. Mais Jean Cocteau a raison quand il remarque que : « ses modèles finissaient par tous se ressembler, à la manière des jeunes filles de Renoir. » Toute l’ambiguïté du peintre italien est là. Son thème presque exclusif, la figure humaine, dégage une séduction qui assure son succès. Inversement, il semble que l’artiste, ayant élaboré sa manière, l’exploite systématiquement, non sans une certaine monotonie.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : Paul Guillaume, promoteur d’Amedeo Modigliani