La photographie est fragile. Dès 1983, la Ville de Paris en a pris conscience et a créé l’Atelier de restauration des photographies, institution inédite en Europe pour conseiller la conservation, l’exposition des collections municipales et restaurer ces dernières. Au début de l’année prochaine, l’atelier quittera ses locaux du Musée Carnavalet pour rejoindre la Maison Européenne de la Photographie.
Vêtue d’un grand tablier blanc, une gomme à la main, une restauratrice nettoie délicatement une grande épreuve de Jules Séeberger. Sur sa table, pinceaux, bâtonnets donnent la mesure de la minutie d’une tâche qui avait commencé par l’analyse précise de l’œuvre. Généralement, l’œil nu suffit pour identifier les composants des couches sensibles (argent, platine, sel de fer, pigments…, ici un tirage au gélatino-bromure d’argent), mais la loupe binoculaire, le microscope ou des tests peuvent faciliter un diagnostic moins immédiat. Là, l’humidité, l’acidité du carton et des colles ont provoqué une "métallisation" de la photographie, qui a pris un aspect un peu argenté. L’épreuve gondolée remise à plat, la restauratrice s’attachera alors à une consolidation des couches sensibles et du support. La pose d’un peu d’aquarelle sur le papier de réintégration sera l’ultime retouche avant que la "malade", soignée, ne retrouve un passe-partout et une boîte de stockage adéquats (fibres de bonne qualité et PH neutre).
"La photographie est extrêmement fragile, on ne le dira jamais assez", avertit Anne Cartier-Bresson, à la tête de l’Atelier de restauration des photographies où travaillent huit personnes. Créée il y a treize ans, cette institution au service des collections municipales, qu’elles soient anciennes, modernes ou contemporaines, est pionnière dans son domaine, non seulement en France mais en Europe. Avant elle, aucun musée, en dehors des pays anglo-saxons, ne disposait d’un service de restauration, signe une nouvelle fois de l’intérêt tardif pour la photographie et de la nouveauté de la discipline.
En amont de la pure restauration, l’Atelier a pour mission de conseiller les responsables des collections pour la conservation des images et les expositions. Ses spécialistes étudient la lumière, l’hygrométrie des salles ainsi que l’encadrement des tirages. En outre, l’Atelier dispose depuis 1987 d’un service de reproduction qui réalise des contretypes des photographies historiques restaurées. Celui-ci livre soit des tirages modernes au format, soit des fac-similés réalisés sur des papiers proches de l’original.
"La plupart des altérations viennent d’un mauvais stockage, d’une mauvaise utilisation", constate Anne Cartier-Bresson. La majorité des procédés photographiques sont argentiques, donc très sensibles à l’humidité et aux variations de température. Une photographie peut être endommagée en étant montée avec des cartons inadaptés. Enfin, gourmands d’albumine, de cellulose, de liants, les insectes adorent la photographie… À ces difficultés de conservation, s’ajoutent les interventions humaines : traces de doigts, pliures, cassures, déchirures des coins… "Plus de 70 % des restaurations sont causées par de mauvaises manipulations", précise Anne Cartier-Bresson.
Car longtemps, la photographie ancienne n’a pas été reconnue. Elle a été négligée ou même abandonnée dans les bibliothèques. "On trouve même des traces de semelles sur des épreuves, déplore-t-elle. Aujourd’hui, on prend conscience qu’on marchait sur un Nadar…"
À l’inverse, la reconnaissance de la photographie peut créer d’autres dommages. Plus une image est connue, plus elle est demandée.
Plus elle sera exposée, plus sa durée de vie sera courte. "Ce sont toujours les mêmes photographies qui sont exposées", se plaint la responsable de l’Atelier.
Au XXe siècle, les tirages noir et blanc deviennent beaucoup plus stables, mais la concurrence industrielle impose une part de secret sur les procédés, les papiers. "Parfois des choses nous échappent…"
En revanche, la stabilité des épreuves couleur pose plus de difficultés car la balance des couleurs évolue. En art contemporain, les artistes qui font usage du médium photographique refusent souvent d’employer des verres protecteurs, ce qui fragilise d’autant la conservation des images.
D’une manière générale, l’Atelier préconise une intervention minimale. "Déontologiquement, nous avons une méthode d’intervention similaire à celle de nos collègues en peinture ou en sculpture, souligne Anne Cartier-Bresson. Nous n’irons pas plus loin que ce que nous savons. Nous ne sommes pas des apprentis sorciers, nous privilégions la stabilité, la sécurité. L’atelier n’est pas un salon de beauté, nous ne faisons pas du cosmétique".
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On a marché sur Nadar
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : On a marché sur Nadar