Pris entre des fonctions et des interprétations juridiques ou fiscales contradictoires, le photographe a du mal à faire valoir ses droits s’il n’est pas déjà riche et célèbre.
Le droit fiscal français n’a reconnu la singularité de la photographie qu’en janvier 1992, en l’admettant dans la catégorie des œuvres d’art originales bénéficiant du taux réduit de TVA, mais sous condition de tirage limité (30 exemplaires par cliché, tous formats et supports confondus) et d’authentification (tirage de l’artiste ou sous son contrôle ou celui de ses ayants droit, numérotation et signature).
Les juges, avant l’État, avaient protégé l’œuvre photographique au titre du droit d’auteur (la première décision répertoriée en France date de 1925), mais de façon restrictive. La loi du 11 mars 1957, qui fonde la protection actuelle du droit d’auteur en France, mentionne la photographie "à caractère artistique et documentaire" parmi les œuvres protégeables. En 1985, la loi a été modifiée pour inclure, sans restriction particulière, "les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie" (art. L 112-2-9° du CPI). Toutefois, pour déterminer la qualité d’œuvre protégée, le juge doit en vérifier "l’originalité", que la doctrine et la jurisprudence ont défini en ce "qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur".
L’hésitation n’est pas seulement française, puisque la Cour de Justice des Communautés Européennes a décidé que les photographies ne pouvaient être considérées fiscalement comme des œuvres d’art.
Pas de protection particulière ou de fiscalité avantageuse
Les photographes payent les conséquences de ces incertitudes. Fiscalement parlant, leurs activités sont plus souvent classifiées comme activités artisanales, qui ne leur accordent pas de protection particulière ou de fiscalité avantageuse. L’administration a ainsi clairement qualifié d’artisanal le portrait de studio ou la photo de mariage, mais en faisant réserve des droits liés à la propriété intellectuelle. Lorsque les photographes interviennent sur commande (cas par exemple des reportages ou de la photographie publicitaire), leurs droits, lorsqu’ils sont reconnus, sont le plus souvent dévolus à leurs employeurs ou commanditaires.
En fait, l’incertitude inverse les conditions d’examen des droits. Au lieu de procéder d’une recherche effective de l’originalité, les travaux sont qualifiés en fonction de leur destination, elle-même pondérée en tenant compte de "l’étiquette" que l’on colle au photographe. C’est quelque part logique, quoiqu’inéquitable. Celui qui s’est fait un nom échappe aux préoccupations alimentaires et peut décider, selon les cas, s’il travaille pour l’art. Le marché suit cette logique et ne proclamera artistes – du moins de leur vivant – que ceux qui le revendiquent.
Conserver les négatifs
Toutefois, petit à petit, émerge une jurisprudence de l’originalité photographique. Ainsi, récemment, des juges ont estimé qu’un cliché publicitaire, réalisé pour un constructeur automobile désireux d’insister sur le caractère non polluant de ses modèles, pouvait bénéficier de la protection du droit d’auteur : le photographe avait fait "poser" une pâquerette devant un pot d’échappement. Son agence avait sans doute un bon avocat pour mettre en avant l’empreinte de sa personnalité dans la résolution de cette équation écologique.
Quels conseils donner en conséquence au photographe animé d’intentions artistiques et désireux de les faire reconnaître ? D’abord, lui recommander de conserver ses négatifs. Ce qu’il vend, c’est la reproduction et la diffusion de ses clichés, et non la pellicule. La détention du négatif est également la meilleure protection contre la piraterie. Ensuite, faire préciser par l’acquéreur le mode d’exploitation de ses travaux : l’acheteur ou le commanditaire ne peut en effet (art. L 122-7 du Code de la propriété intellectuelle) les utiliser à d’autres fins que celles prévues au contrat. Puis, s’il a des ambitions internationales, faire apposer le © du copyright. Enfin, revendiquer et/ou se faire reconnaître comme artiste.
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Droits du photographe, le flou juridique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Droits du photographe, le flou juridique