Pionnier, le Museum of Modern Art (MoMA) de New York a créé, en décembre 1940, un département consacré à la photographie.?Marqué par des personnalités comme le photographe Edward Steichen (directeur de 1947 à 1962) ou John Szarkowski (1962-1991), le département est dirigé depuis octobre 1991 par Peter Galassi. Sa collection comporte environ 25 000 épreuves, débutant vers 1840, mais dont la majorité est du XXe siècle. Le MoMA expose en permanence une partie de sa collection, \"un panorama de l’histoire de la photographie\" et \"essaye de voir la photographie comme un tout, sans égard pour des catégories arbitraires\", comme nous le déclare Peter Galassi.
Le JdA : Quelle est l’originalité de la collection du MoMA ?
Peter Galassi : C’est au crédit d’Alfred H. Barr Jr., le premier directeur du Museum of Modern Art, que l’on doit porter la reconnaissance de l’importance artistique de la photographie. Pourtant, l’aspect le plus original et même le plus important de la collection photographique du musée n’est ni la précocité de sa création ni la qualité des œuvres qu’on y trouve ; c’est sa présence à l’intérieur d’un musée largement consacré à une culture moderne du visuel, non seulement dans les arts traditionnels tels que la peinture et la sculpture, mais aussi l’architecture, le design et le cinéma.
D’une façon plus générale, comment définiriez-vous une collection de photographies pour un musée, et à quels critères doit-elle répondre ?
En 1929, quand le Museum of Modern Art a ouvert ses portes, la photographie avait déjà conquis une place importante dans l’art moderne le plus évolué, et Alfred Barr l’avait certainement compris quand il a envisagé d’inclure la photographie dans les collections et les programmes du musée. Mais il croyait également que la photographie, comme le cinéma et le design industriel, jouait un rôle central dans la vie et la culture modernes, qu’on la considère ou non comme un des beaux-arts. La photographie (toute la photographie, et pas seulement les œuvres des artistes qui se sentent tels) a changé la façon dont nous percevons et comprenons le monde. Il me semble qu’un musée qui fait sa place à la photographie est obligé de tenir compte de ces deux façons différentes, et souvent opposées, de comprendre la signification de la photographie.
Il est impossible de dire par avance, comme si c’était l’essentiel, quand la photographie est un art et quand elle ne l’est pas. Les gens qui s’interrogent sur le statut de la photographie comme un des beaux-arts peuvent considérer cet état de chose comme frustrant ; de mon point de vue, cela fait partie de ce qui rend la photographie si intéressante.
Depuis votre entrée en fonction, quelle orientation avez-vous donné à cette collection ?
Peu après ma nomination, mes collègues et moi avons inauguré une révision systématique de notre politique d’acquisition, que nous avons depuis réexaminée périodiquement. Pour les épreuves les plus anciennes, cette révision nous a menés en particulier à rechercher des œuvres de haute qualité qui viendraient conforter l’homogénéité de la collection. Comme exemples de ces acquisitions récentes, citons des œuvres de Manuel Alvarez Bravo, Max Burchartz, John Gutmann, André Kertész, Étienne-Jules Marey, Robert Rauschenberg et Susan Weil, Alexander Rodchenko et Umbo. Pour l’art des vingt ou trente dernières années, nous nous sommes concentrés sur l’acquisition groupée d’œuvres de personnalités de premier plan, notamment la série complète des soixante-neuf Untitled Film Stills de Cindy Sherman, comme aussi des ensembles importants d’œuvres de Lucas Samaras, Jan Groover, William Wegman, Lee Friedlander, et d’autres. Bien sûr, c’est une entreprise sans fin…
Prenez-vous en compte tous les aspects de la photographie ? Veillez-vous à un équilibre entre ces différents aspects, ou cette question n’a-t-elle pas de sens pour vous ?
Nous essayons de voir la photographie comme un tout, sans égard pour des catégories arbitraires. En particulier, depuis les années soixante, il est devenu essentiel de considérer la photographie comme un instrument parmi d’autres dans l’art contemporain qui, depuis Rauschenberg et Warhol, est nourri de formes hybrides incorporant la photographie d’une façon ou d’une autre.
Quels Français sont représentés dans votre collection ? Vous intéressez-vous aux jeunes photographes français contemporains ?
Il n’est pas commode de vous donner une liste complète. Il n’est pas commode non plus, pour la photographie comme pour la peinture, de limiter le grand art français du XXe siècle à l’œuvre de gens qui sont nés en France. Outre celles de Cartier-Bresson, le musée possède d’importantes collections de photographies de Brassaï, André Kertész et Man Ray, qui tous ont créé le meilleur de leur œuvre en France, dans les années vingt et trente, alors qu’aucun n’y était né. Pour les contemporains, nous avons montré, ces dernières années, les œuvres d’Annette Messager, Patrick Faigenbaum et Éric Rondepierre, et je suis sûr que nous continuerons à exposer et à acquérir des œuvres françaises contemporaines.
Comment enrichissez-vous votre collection ?
Nous achetons dans des ventes, mais rarement. Comme la grande majorité de nos acquisitions portent sur des œuvres contemporaines, nous achetons beaucoup directement auprès des artistes aussi bien que dans les galeries. Notre examen hebdomadaire des sélections que les artistes apportent ou nous envoient joue un rôle important dans notre effort pour rester informés de la nouvelle création photographique. Mais, naturellement, comme les galeries qui exposent de la photographie prolifèrent, la proportion d’œuvres que nous acquérons auprès d’elles a augmenté ces dernières années.
Des donations vous sont-elles souvent proposées ?
Comme la plupart des musées américains, le Museum of Modern Art a été créé et demeure soutenu non par l’État mais par des personnes privées. Les dons d’œuvres d’art représentent une part importante de ce soutien. Ces dernières années, citons la série de dons particulièrement importants constitués de photographies remarquables du collectionneur new-yorkais Paul F. Walter, lui-même administrateur et vice-président du comité pour la Photographie de notre musée. Quant aux donations, nos amis les plus proches ne sont pas seulement généreux ; ils attendent de nous que nous exercions notre capacité de juger en conservateurs, et ils seraient fort étonnés si nous ne le faisions pas.
Possédez-vous des négatifs ?
En principe, nous acquérons des œuvres d’art pour les exposer ; aussi évitons-nous les négatifs. La seule exception notable est un ensemble de 1 300 négatifs réalisés par Eugène Atget, qui font partie intégrante de notre grande collection de photographies d’Atget, et dont nous avons fait de nouveaux tirages pour les exposer.
Et des planches-contacts ?
Là encore, notre but est d’acquérir des œuvres exposables. Notre matériel d’étude auxiliaire, et isolé comme tel, comprend des tirages, des pages découpées dans des magazines, des contretypes et bien sûr, des planches-contacts.
Comment s’articule votre politique d’exposition par rapport à la collection ?
Nos programmes d’acquisition et d’exposition sont étroitement liés. Nous investissons beaucoup de réflexion et de recherche dans nos expositions : pour les œuvres plus anciennes, et surtout pour les œuvres contemporaines, les acquisitions décidées à partir des expositions ont joué longtemps un rôle central dans l’enrichissement des collections.
À l’inverse du Centre Pompidou, des photographies sont accrochées dans les collections permanentes du MoMA. La photographie semble donc mieux considérée dans votre musée que dans l’institution française. Êtes-vous néanmoins satisfait de votre situation ?
Les États-Unis sont pauvres en cathédrales médiévales et en monuments de la Renaissance, mais ils n’ont pas connu de guerres modernes sur leur territoire et bénéficient des talents d’immigrés brillants. Chacun de ces facteurs a sûrement contribué à la vitalité et au goût pour la photographie aux États-Unis. Mais sur les deux dernières décennies, les musées européens ont accompli un travail croissant et impressionnant sur la photographie, et le Centre Pompidou est parmi les premiers.
Pour le moment le Museum of Modern Art de New York demeure l’un des rares endroits au monde où, six jours par semaine, des visiteurs peuvent voir un panorama de l’histoire de la photographie à partir d’originaux de haute qualité. Pour la peinture postérieure à la Renaissance, cette fonction est assurée par des douzaines et des douzaines de musées, mais pour la photographie, c’est rare. C’est en partie pour cette raison que nous y attachons une telle importance. Quand, en 1994, le musée a gagné en surface, l’espace réservé à notre collection a plus que doublé, si bien que nous exposons maintenant près de 200 photographies en même temps. Nous avons le projet de nous étendre encore dans les dix prochaines années, et l’espace donné aux photographies s’accroîtra encore sans aucun doute, bien que sous certains aspects, notre collection puisse être intégrée à d’autres moyens d’expression.
Quelle part du budget d’acquisition du MoMA est dévolue à la photographie ?
Les dotations, pour les acquisitions comme pour les expositions, sont modestes, et le budget du musée pour ces activités est fonction de sa capacité à solliciter le soutien d’individus, d’entreprises et de fondations. Il est admis comme fondamental que le programme photographique joue un rôle important au sein du musée, mais c’est aussi une part du travail du conservateur de trouver des soutiens tels que ce programme soit une réussite. Par exemple, le département de Photographie demeure en relation étroite et efficace avec Spring Industries, Inc., une importante entreprise textile qui, depuis 1978, a aidé à financer plus de vingt expositions de photographies au MoMA.
Quelles relations entretenez-vous avec les autres départements du musée ?
Le musée compte six départements, chacun avec son conservateur : Peinture et Sculpture ; Dessins ; Gravures et Livres ; Architecture et Design ; Film et Vidéo, et Photographie. Je suis heureux de dire que les échanges entre ces départements sont nombreux et féconds, tels que mes collègues et moi-même pensons qu’ils doivent être pour que le musée puisse faire son travail convenablement aujourd’hui.
Par exemple, nous sommes en train de monter ensemble une importante série d’expositions intégrées, toutes tirées de nos collections, pour marquer le début du XXIe siècle. Ce projet en collaboration est conçu en partie comme une expérience conduisant à un nouveau Museum of Modern Art, qui ne sera pas seulement plus grand mais différent. Tous, nous reconnaissons que nous avons la chance de pouvoir ensemble réinventer le musée pour l’avenir. Glenn D. Lowry, directeur du MoMA depuis à peu près un an, partage cet enthousiasme.
Vous êtes également un spécialiste de Corot. Est-ce que votre intérêt pour la peinture facilite ces échanges, ou bien ces relations existeraient-elles quel que soit le directeur du département de Photographie ?
Votre question me fait penser que vous pourriez être surpris si vous connaissiez la variété et l’étendue de ce qui intéresse les conservateurs de ce musée, quel que soit le département où chacun se trouve travailler.
En France, peinture et photographie sont souvent des mondes très distincts, chez les artistes comme chez les responsables d’institutions publiques. Est-ce le cas également aux États-Unis, ou êtes-vous une exception ?
C’est vrai, des deux côtés de l’Atlantique, le monde de la peinture et celui de la photographie sont séparés. Il est vrai aussi que les échanges entre les deux sont devenus plus actifs, et je me réjouis de cette évolution. Mais je crois qu’il est facile d’exagérer les distinctions entre ces deux mondes ou de présumer qu’elles sont inévitablement pernicieuses. Après tout, il y a aussi les mondes bien distincts du cinéma, de la mode, de l’architecture, du design automobile, des sports, de la médecine, de la poésie etc., ce qui est une autre façon de dire que personne ne peut tout savoir ni s’intéresser à tout. Une des raisons pour lesquelles j’aime travailler avec mes collègues des autres départements du musée, c’est qu’ils en savent plus que moi dans leurs domaines professionnels, ce qui signifie que grâce à eux, je ne cesse d’apprendre.
Comment vous est venu votre intérêt pour la photographie ? Est-il totalement indépendant de celui pour la peinture, ou est-ce un complément ?
Je me suis intéressé à la fois à la photographie et à la peinture dès l’adolescence, et je n’ai jamais perçu de conflit entre ces deux centres d’intérêt.
LA PHOTOGRAPHIE AMÉRICAINE DE 1890 À 1965, Centre Georges Pompidou, jusqu’au 27 mai, tlj sauf le mardi, de 12h à 22h, samedi et dimanche de 10h à 22h
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Peter Galassi, directeur du département de Photographie du MoMA
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Peter Galassi, directeur du département de Photographie du MoMA