LONDRES / ROYAUME-UNI
À Londres, les deux figures tutélaires de la Renaissance vénitienne se retrouvent sur les mêmes cimaises, révélant, au-delà de leurs liens familiaux, un dialogue esthétique continu.
Londres. Venise, 1453 : Andrea Mantegna, jeune peintre prodige venu de Padoue, s’unit à Nicolosia Bellini, issue de la grande lignée des Bellini. Par ce mariage, il devient le beau-frère de Giovanni Bellini ; ensemble, ils vont bouleverser le paysage pictural vénitien et italien.
C’est cette histoire qu’ont choisi de raconter la National Gallery de Londres et les Staatliche Museen de Berlin, en collaboration avec le British Museum. Jamais encore les relations entre les deux peintres n’avaient fait l’objet d’une exposition, fruit de la recherche approfondie des quatre commissaires. Le résultat est un parcours soigné, méticuleux et riche d’œuvres majeures, un catalogue scientifique exemplaire à destination des connaisseurs, et un parcours où la médiation écrite, en s’adressant au plus grand nombre, convie également le visiteur à découvrir une histoire humaine et vivante.
La première salle campe les personnages. D’un côté, Andrea Mantegna (vers 1431-1506), fils de charpentier né à Padoue, est un autodidacte, éduqué dans une ville universitaire et intellectuelle. Son style est déjà formé, minéral et cérébral, lorsqu’il attire l’attention d’un certain Jacopo Bellini, peintre vénitien de renom. De l’autre côté, Giovanni Bellini (vers 1435-1516), rejeton d’une longue lignée d’artistes reconnus, est né dans une cité flamboyante « avec une cuillère d’argent dans la bouche », écrit la commissaire Caroline Campbell dans le catalogue. Jacopo Bellini va être le lien entre les deux jeunes hommes. Si un très petit nombre de ses œuvres sont encore conservées, le British Museum abrite dans ses collections l’un de ses deux cahiers de dessins, outil d’atelier. Exposé au public pour la seconde fois en cent ans, l’ouvrage est accroché en face de deux Présentations au Temple, œuvres pour l’une de son beau-fils, pour l’autre de son fils.
La version de Mantegna, datée de 1454 (Gemäldegalerie, Berlin), montre une scène resserrée et des personnages coupés à mi-corps, une composition originale pour l’époque. Un an après son mariage, l’artiste se représente, ainsi que son épouse, dans le tableau, entourant la Sainte Famille et le grand prêtre. L’autre Présentation, issue des collections de la Fondation Querini Stampalia à Venise, est attribuée à Bellini, et date vraisemblablement des années 1470. Une citation quasi parfaite du tableau de son beau-frère à un détail près : aux cinq figures de départ viennent s’ajouter un homme et une femme. Les historiens s’interrogent encore sur l’identité de ce couple, mais la reprise fidèle du canon de Mantegna par Bellini, à une époque où chacun est à l’apogée de son art, indique à tout le moins un respect et une admiration du peintre pour son aîné.
Le reste du parcours, juxtaposant des thèmes iconographiques similaires, révèle à quel point les recherches artistiques des deux hommes sont imbriquées. Le cérébral Mantegna prend parfois les accents lumineux de Bellini, et le fougueux Bellini vient piocher dans les solutions iconographiques de son beau-frère pour résoudre des problèmes de composition.
Douceur lumineuse de Bellini, dureté minérale de Mantegna : la caractérisation manichéenne des manuels d’histoire de l’art est écornée par l’accrochage londonien. L’émulation des deux peintres joue ainsi dans La Mort de la Vierge (1462, Musée du Prado, Madrid) où Mantegna insère un paysage de Mantoue qui n’a rien à envier sur le plan de la lumière et de la douceur aux paysages de Bellini. A contrario, Bellini s’inspire directement dans sa Descente du Christ aux limbes (vers 1492, collection privée) d’une composition créée par Mantegna, comme le montre un dessin du Metropolitan Museum of Art (New York) daté des années 1465-1470. En fin de parcours, L’Ivresse de Noé de Bellini (1515, Musée des beaux-arts de Besançon) est à la croisée des chemins : si les accents de Titien sont bien présents, Bellini cite également Mantegna, mort en 1506. Le dialogue de peinture entre les deux « frères » aura duré près de soixante ans.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°509 du 19 octobre 2018, avec le titre suivant : Mantegna et Bellini, frères d’art