PARIS
Pedro Cabrita Reis offre à voir trois sculptures monumentales évoquant cette figure archétypale grecque.
Paris. C’est l’un des projets emblématiques de la Saison France-Portugal 2022 (qui se tient dans les deux pays jusqu’en octobre). Les Trois Grâces de Pedro Cabrita Reis (2022, voir ill.) sont à découvrir aux Tuileries. On pourra regretter que cette œuvre monumentale ne soit a priori pas installée de manière pérenne dans le jardin, mais on ne peut que se féliciter de l’invitation du Louvre à l’artiste portugais. Le travail de ce dernier a été peu vu en France, à l’exception de sa participation à la 10e Biennale de Lyon en 2009, de l’exposition monographique que lui consacra le Carré d’art à Nîmes l’année suivante, et plus récemment d’une Forêt de béton imaginée pour le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (2018-2019).
Le thème très classique auquel il a choisi de se confronter avec ce groupe de sculptures surprendra si l’on connaît surtout ses installations empruntant au registre architectural, où dominent l’éclat des néons et les lignes sinueuses des câbles électriques – on en verra bientôt une nouvelle déclinaison monumentale, Field, lors de la prochaine Biennale de Venise. Ici, ces trois figures mythologiques sont un prétexte pour parler de sculpture, donc d’espace et de temps, puisqu’il s’agit de s’inscrire dans une histoire de l’art. Non seulement Pedro Cabrita Reis a choisi de séparer les trois sœurs, que l’iconographie représente traditionnellement enlacées, mais il a effacé leurs traits, pour ne garder que leur silhouette vaguement anthropomorphe, mêlant effets de drapés et blocs géométriques bruts dans un jeu de (dé)construction. La présence humaine est donc seulement suggérée par ces totems de liège nappés de blanc évoquant une statuaire que l’on aurait sortie d’une réserve encore empaquetée. Pedro Cabrita Reis dit s’intéresser aux moments de rupture, en art, seulement pour les possibilités qu’ils offrent de bâtir sur les ruines, mais fait peu de cas des ready-made d’urinoirs. Il partage cependant avec Marcel Duchamp l’affirmation selon laquelle le spectateur fait l’œuvre. Ainsi, cette figure humaine apparemment absente, si l’on regarde bien ses Trois Grâces, il en est sûr : on la verra surgir.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : « Les Trois Grâces » côté jardin