À la galerie Nelson-Freeman, à Paris, Pedro Cabrita Reis (né en 1956 à Lisbonne, Portugal) dévoile des tableaux abstraits inédits sans pour autant renoncer à la subtilité construite de ses peintures et sculptures.
Frédéric Bonnet : Votre accrochage ne constitue pas un environnement, mais le paysage est fortement évoqué et l’ensemble interpelle par un rapport très architecturé au réel. Est-ce une manière de conférer une structure au réel ?
Pedro Cabrita Reis : Je voudrais tout d’abord souligner que je suis plutôt du côté de la construction que de l’architecture. Je pense que l’architecture, mais peut-être que je me trompe, consiste surtout en une gestion des espaces publics, une action placée du côté de la politique, [qui sous-entend] la gestion du mouvement de la foule ou des individus dans l’espace de la ville. Tandis que la construction tient plutôt du domaine d’une anthropologie, soit d’une perception assez primordiale ; cette vision un peu poétique témoigne de l’action de bâtir, de mettre une pierre à côté de l’autre. La construction serait un geste primordial impliqué dans une très grande variété de gestes qui, tous ensemble, nous proposent une construction du monde ; c’est donc en lui-même l’acte de définition de l’existence du monde. L’architecture, selon les termes d’une interprétation marxiste ou moins matérialiste, sera du côté de l’idéologie, et vient donc après.
F. B. : La construction est aussi la définition d’un cadre…
P. C. R. : Bien sûr, une structure, un système. C’est peut-être un peu anachronique, mais on ne parvient pas à comprendre le monde sinon à l’aide de la construction de systèmes mentaux. Il y a toujours un système de pensée qui laisse au moins deux choses ensemble afin d’articuler un raisonnement.
F. B. : La peinture est très présente dans cette exposition, or, et cela peut surprendre, elle adopte des veines différentes : l’une est très construite, notamment ces toiles enchâssées dans des fenêtres (Les Verts #1 ; Les Bleus #1, 2011), alors que les tableaux de paysage sont gestuels et beaucoup plus lyriques (The Untitled Landscapes, 2011)…
P. C. R. : Je dois préciser que je suis en premier lieu un peintre qui a fait des sculptures. Ce que je ne refuse pas, car je ne me pose pas de limites. Pour revenir à votre question, j’ai toujours eu envie de faire des peintures de paysage, car cela entrait dans la critique de toutes les positions que j’ai eues à propos de l’impossibilité d’un rapport entre l’homme et le paysage. J’ai toujours parlé dans mes textes ou mes conversations de cette impossibilité, d’une sorte de « territoire muet », vide, un territoire d’impossibilité entre ce qui est autour de nous et ce que nous sommes ou l’idée que nous avons de nous-mêmes. D’une manière ou d’une autre, beaucoup de mes dessins ne sont que des mouvements d’approche, à tel point que j’ai décidé que c’était peut-être le juste moment pour tenter de faire ces peintures de « paysage », car on est aveugle et on ne peut retrouver l’image de la nature à laquelle on est étranger. Et j’ai pensé qu’il était intéressant de montrer simultanément une peinture abstraite qui offre une possibilité de sortie vers un corps conscient dans le regard sur le paysage, et une autre qui soit un exercice de vérification d’une notion intérieure du paysage.
F. B. : Nous avons parlé de la prédominance de l’idée de construction dans votre travail. La peinture est-elle construite également ?
P. C. R. : Si on examine bien cette peinture de paysage, on voit que le geste, la structure de la pensée picturale, l’action, le mode, la façon dont je viens sur la toile participent de ce processus qui est au principe de mon travail, c’est-à-dire qu’il y a toujours une référence orthogonale. La même dont on a souvent témoigné en analysant mes objets, sculptures, etc. On est toujours renvoyé vers cette référence classique du rapport entre une verticalité et une horizontalité ; c’est-à-dire l’horizon impossible par la ligne horizontale, et une verticale qui projette notre présence dans le monde. Il y a là un rapport clair, la présence humaine par rapport à celle de la nature. Ce croisement sous-jacent s’impose. Et si vous regardez bien la manufacture de la peinture, on peut dire que ces paysages sont construits comme une sculpture.
Jusqu’au 21 janvier 2012, galerie Nelson-Freeman, 59, rue Quincampoix, 75003 Paris, tél. 01 42 71 74 56, www.galerienel sonfreeman.com, du mardi au samdi 11h-13h/14h-19h.
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Pedro Cabrita Reis : « Un peintre qui a fait des sculptures »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°359 du 16 décembre 2011, avec le titre suivant : Pedro Cabrita Reis : « Un peintre qui a fait des sculptures »