Deux expositions en France depuis le début 2004, des rendez-vous à Séville et à Gênes dans des expositions collectives et pas moins de quatre expositions personnelles à Londres, Anvers, Lisbonne et Berne dans les deux mois qui viennent : plus de vingt ans d’activités de l’artiste portugais Pedro Cabrita Reis (né en 1956) lui assurent une reconnaissance internationale qu’il porte bien, avec une œuvre qui résonne entre constructivisme et minimalisme, moins allégorique que l’Arte povera, touchant à l’installation mais sans volonté démonstrative : « classique », dit-il.
Dijon (FRAC Bourgogne) et Saint-Nazaire (Le Grand Café) n’étaient que deux des étapes d’un programme chargé cette année. L’automne vous laissera peu de répit ! Quelle importance le contexte des expositions a-t-il pour votre travail ?
Je viens de finir une pièce assez importante pour le réfectoire du monastère de La Cartuja, lieu de la nouvelle Biennale de Séville dirigée par Harald Szeemann, alors qu’à Gênes seront présentées simultanément une œuvre des années 1980 et une pièce produite pour l’occasion. En fait, je commence en général par établir un rapport avec le lieu, sur des plans très différents : physique, mental, historique, philosophique, parfois même à partir d’un détail. Mais il y a aussi, toujours présent, un vocabulaire essentiel que je reprends et que je développe selon les occasions. Avec le temps, les projets gagnent en densité, en prolongeant des préoccupations comme l’idée de la mémoire d’un « thesaurus » de la connaissance, la question de la construction en tant que symptôme de l’humain ou la célébration d’une vitalité existentielle, cette rumeur ineffable, territoire privilégié de mon œuvre. Mon travail est porté par ce désespoir positif qui pousse à agir au quotidien, à faire et refaire en permanence. Par une vision du monde aussi, qui fait inévitablement écho à ma culture portugaise, constituée de certaines réalités historiques comme du temps de l’engagement contre le fascisme avant 1974 : ce qui ne fait pas pour autant assigner à ma pratique d’artiste un sens militant ou doctrinaire. L’art est une forme de connaissance parmi les autres, qui est en elle-même un processus d’intelligence du monde, une puissance d’interrogation, pas de commentaire ou d’illustration.
Votre usage de l’architecture relève plus de l’enquête anthropologique que de l’héroïsme de l’ingénieur ; vous êtes plus près de la présence humaine que de l’autorité du grand bâtisseur…
Oui, ce n’est pas l’architecture comme gestion politique de l’espace qui m’intéresse, mais plutôt le geste fondateur de la main qui construit, notre manière d’occuper le monde, de construire ou plus encore de re-construire sans cesse la réalité à partir de notre histoire, de rechercher la beauté comme manière de soigner une blessure initiale. D’où sans doute une forme de mélancolie qui traverse mon travail, mais aussi une poursuite de l’harmonie : je suis sans doute un classique !
Mais votre vocabulaire, lui, est contemporain, très libre entre le travail du peintre que vous avez d’abord été et celui du sculpteur depuis. L’exposition de Saint-Nazaire recoupe cette polarité, avec une pièce plus sculpturale au rez-de-chaussée, cette trame de murs qui traverse le bâtiment, et, à l’étage, cette autre, plutôt picturale avec une ligne de néons sur des murs densément bleus.
Jusqu’au début des années 1990, je me définissais comme peintre, puis je me suis engagé à fond dans des enquêtes dans la troisième dimension. Mais cette transhumance entre les champs est une forme de privilège très précieux : dans mes travaux, nombre de sculptures sont des peintures, des peintures, des dessins et des dessins, des sculptures. Je reste cependant attaché à des matériaux premiers, élémentaires. À Saint-Nazaire, c’est vrai, les pièces d’en haut forment un paysage, ou plutôt la sensation d’un paysage qui se définit par la ligne d’horizon, cette ligne de partage essentielle, aussi symbolique que physique. Celle-ci en l’occurrence divise un espace monochrome bleu, plus cosmologique que descriptif, même si l’on peut retrouver là cette dimension liquide de la ville, traversée par tant d’eau mais où l’on ne voit pas les habitants. En bas, la mémoire du lieu, Le Grand Café, résonne pour moi dans ces murs de briques délabrées. La mélancolie n’est pas loin, ici encore.
- PEDRO CABrITA REIS, Les heures oubliées, jusqu’au 10 octobre, Le Grand Café, place des Quatre-Z’horloges, 44600 Saint-Nazaire, du mardi au samedi 14h-19h, lundi 15h-18h. - Expositions personnelles, à partir du 18 septembre au Middelheim Museum, à Anvers, à partir du 7 octobre à la galerie João Esteves Oliveira, à Lisbonne, à partir du 23 octobre à la Kunsthalle de Berne et, à partir du 25 novembre, au Camden Arts Centre à Londres. - Participation à la première Biennale internationale d’art contemporain de Séville (commissaire : Harald Szeemann) à partir du 1er octobre et, à partir du 2, à « Art et architecture 1900-2000 » au Palazzo Ducale, à Gênes (commissaire : Germano Celant). - Site de l’artiste : www.pedrocabritareis.com
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Pedro Cabrita Reis
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°198 du 10 septembre 2004, avec le titre suivant : Pedro Cabrita Reis