Art moderne

ÉCRITS SURRÉALISTES

Le surréalisme en toutes lettres

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 17 février 2021 - 835 mots

PARIS

Le versant littéraire du mouvement, avec ses manuscrits, manifestes, revues et dessins, est déployé à la BNF. Y est perceptible l’empreinte de Dada, concurrencé par la poésie, le rêve et l’humour surréalistes.

Paris. Gageons que, malgré leur imagination débridée, et leur prise de distance d’avec la réalité, les surréalistes eux-mêmes n’auraient pu envisager un monde aussi étrange que le nôtre, qui dépasse de loin leurs visions les plus fantaisistes. Ainsi, le beau masque réalisé par Marcel Janco (Portrait de Tzara, 1919) ressemble à une version désarticulée de ceux qui font partie de notre quotidien depuis un an. Pour autant, l’exposition organisée par la Bibliothèque nationale de France (BNF) permet au spectateur de voguer dans un univers où tout, l’érotisme, le rêve, la provocation, la poésie, l’absurde, semble encore possible.

Le sous-titre de la manifestation, « Des Champs magnétiques à Nadja », indique d’emblée que la composante littéraire de la création surréaliste y est mise à l’honneur. Dans son Manifeste de 1924, André Breton énonce déjà les priorités en définissant le surréalisme comme « automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée ». Et, de fait, l’écrit est ici omniprésent à travers d’innombrables manuscrits originaux, des trésors issus de la BNF mais également de la bibliothèque Jacques-Doucet, à commencer par Champs magnétiques, ce recueil de Breton et Philippe Soupault dont 2020 a marqué le centenaire de la publication. Visiblement, personne ne manque à l’appel : Apollinaire, le premier à évoquer le surréel, avec les scandaleuses Mamelles de Tirésias (1917), Louis Aragon, Paul Éluard et Tristan Tzara ou Francis Picabia et Jacques Vaché. Les œuvres plastiques sont plus rares, voire plus modestes, même si le visiteur est accueilli par les somptueux costumes dessinés par Picasso pour le ballet Parade (1917).

Dans un souci pédagogique, les commissaires – Bérénice Stoll, Olivier Wagner et Isabelle Diu – proposent une présentation chrono- thématique de l’histoire du surréalisme en quatre sections : « Guerre et esprit nouveau », « Rêve et automatisme », « Manifestes et provocations », « Amour et folie », « Nadja, l’âme errante ».

Collages et photomontages

Le parcours s’ouvre sur un mur « tapissé » des photographies des « ancêtres » : Rimbaud, Lautréamont, Freud pour n’en citer que quelques-uns. Puis, on constate que le surréalisme plonge ses racines dans un événement qui a ébranlé toute une génération : la Grande Guerre. Pour les jeunes écrivains et poètes, traumatisés par ce cataclysme, à l’abattage des hommes doit succéder celui de toutes les conventions. Inévitablement, cette visée reste inséparable du trouble déclenché par Dada, né à Zürich en 1916. Curieusement, l’espace dans lequel sont évoquées les origines de ce mouvement est situé postérieurement à celui consacré au surréalisme. Cependant, l’exposition n’élude pas l’importance de Dada – une place de choix est accordée à Tzara. Sans doute serait-il réducteur de prétendre que le surréalisme se situe dans la lignée directe de la révolte dadaïste. Il est vrai que Dada se caractérise comme une réaction avant tout politique ou éthique, et accessoirement esthétique. Il n’en reste pas moins que certains processus artistiques « inventés » par ces créateurs deviendront les marques de fabrique des surréalistes. Assemblages, collages et photomontages seront les modes opératoires permettant de défaire, disjoindre et disloquer. Une fois reconstruite selon une tout autre logique, l’image portera les traces des effractions originelles.

Toutefois, si les surréalistes gardent l’ironie – peut-être dans une version moins corrosive que leurs confrères –, ils introduisent dans leurs travaux un imaginaire inspiré par l’inconscient, en faisant appel au rêve, au sommeil hypnotique et à l’écriture automatique. Le cadavre exquis, cette formidable pratique de groupe, est un véritable lieu de rencontre entre écrivains et plasticiens. (Cadavre exquis, 17 mars 1927, Max Morise, André Breton, Marie-Berthe Aurenche, Max Ernst).

La section qui réunit manifestes, revues et autres publications provocatrices destinées au grand public est dominée par les dadaïstes, souvent sous la houlette de Tzara. Si cette langue est à ce point virulente, si la satire sociale et la critique politique y sont exacerbées, c’est parce qu’elles répondent à la violence de la guerre et des discours nationalistes et bellicistes. À la BNF, un mur est couvert des célèbres « papillons » surréalistes, ces petits imprimés colorés confectionnés par Tzara et Éluard, dont le contenu hésite, selon Breton, entre « poésie, rêve, humour ».

Le parcours s’achève sous le signe d’Éros qui triomphe partout. La dimension esthétique du surréalisme est essentiellement définie par l’intensité ; la beauté doit être « convulsive », proche d’une extase amoureuse conçue sur un mode quasi religieux. Une femme incarne ce sentiment : Nadja. La rencontre avec cette jeune femme devenue un mythe inspire à Breton un livre au titre du même nom (1928). Des dessins naïfs, hallucinés – certains découverts récemment –, de cette jeune femme fragile qui finira ses jours dans un hôpital psychiatrique, sont montrés ici pour la première fois. Le rapprochement de ces « illustrations » avec le récit qualifié par les commissaires d’« expérience limite » laisse à penser que les surréalistes ne savaient souvent pas tracer de limites entre les souffrances de la folie et l’« Amour fou ».

L’invention du surréalisme. Des Champs magnétiques à Nadja,
initialement jusqu’au 14 mars, BNF, site François-Mitterrand, galerie, quai François-Mauriac, 75013 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°561 du 19 février 2021, avec le titre suivant : Le surréalisme en toutes lettres

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