L’œuvre de l’artiste italienne, associée à l’Arte povera, actuellement au LaM, s’inscrit dans un registre poétique.
Villeneuve-d’Ascq (Nord). Une exposition non pas sur Marisa Merz (1926-2019), mais de Marisa Merz et sans Marisa Merz, cinq années après sa mort. Le pari du LaM (Lille Métropole Musée d’art moderne d’art contemporain et d’art brut), il faut le reconnaître, est osé. Il est celui des commissaires de l’exposition, Sébastien Delot, qui avait porté l’exposition pendant son mandat de directeur du LaM, Grégoire Prangé et Andrea Viliani, avec le concours de Beatrice Merz, fille de l’artiste et présidente de la Fondazione Merz. Et il est d’autant plus risqué que l’artiste, seule femme de l’Arte povera, a refusé nombre d’expositions de son vivant. Épouse de Mario Merz, célébrée en 2013 par la réception d’un Lion d’or à la Biennale de Venise pour l’ensemble de son œuvre, cette artiste née à Turin crée avec des matériaux du quotidien, éphémères : l’argile qui prend la forme d’un visage, l’aluminium qui devient volutes de fumée, le cuivre ou le nylon qui se tissent pour devenir filets, la cire ou le tissu, le papier de riz où se dessinent des visages ou des anges…
Ces pièces subtiles, délicates, intimes se nourrissent des icônes byzantines, de Fra Angelico, des peintres flamands de la première Renaissance. Sans doute Marisa Merz, qui écrivait aussi des vers, cherchait-elle moins à être reconnue qu’à vivre en poète, liant intimement la vie et la création, suscitant des variations mystérieuses d’une œuvre à l’autre, participant de ce « langage des fleurs et des choses muettes » cher à Baudelaire. L’exposition porte pour titre trois mots de Marisa Merz, qui résonnent comme un poème et comme sa quête : « Ascoltare lo spazio » (« écouter l’espace »).
Écouter l’espace…, c’est justement ce qu’ont dû faire les commissaires pour monter cette exposition. Car il ne s’agit pas ici d’une rétrospective. Lorsqu’elle était invitée à exposer quelque part, l’artiste regardait le lieu qui lui était dévolu, agençait ses pièces, les faisant dialoguer entre elles et avec l’espace, ne cessant jamais de s’ajuster, chercher des rythmes ou des échos, expérimenter des résonances : pour elle, l’exposition était une œuvre artistique et poétique à part entière. Les commissaires ont ainsi voulu créer une exposition au plus près de l’esprit de l’artiste, étudiant avec soin et minutie les archives, observant ses œuvres et écoutant l’espace qui leur était donné au LaM.
Sur les murs, pas de texte – de même que Marisa Merz ne donnait pas de titre à ses œuvres et bannissait les cartels. Les visiteurs sont invités à regarder, à tisser eux-mêmes des correspondances, de fil en aiguille, d’associations en reprises et variations, où des têtes d’or et visages d’argile répondent à des fontaines ou à des voiles de fils de cuivre (à moins qu’il ne s’agisse de symboles de la féminité). Un cheminement dont les œuvres fragiles et bouleversantes s’agencent pour créer une phrase mystérieuse. Ce parcours, d’une grande beauté et poésie, fait ainsi entendre le souffle de Marisa Merz, emportant le visiteur avec ses créations au bord du monde.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : Le souffle poétique de Marisa Merz