Photographie

Le Quai Branly ouvre son « album du monde »

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2023 - 709 mots

PARIS

Les collections du musée témoignent de la propagation rapide de la photographie hors d’Europe, en Afrique, Asie, Océanie et aux Amériques, et ce dès son invention au XIXe siècle.

Paris. « Que savons-nous des débuts de la photographie pratiquée hors d’Europe ou des États-Unis ? […] Le parcours de l’histoire des débuts de la photographie à l’échelle du globe confirme à quel point notre connaissance est fragmentaire et européocentrée », rappelait en 2019 Christine Barthe au Louvre Abu Dhabi. La responsable de l’Unité patrimoniale des collections photographiques du Musée du quai Branly signait alors en ces lieux, avec Annabelle Lacour, la première exposition proposant une approche mondiale de l’histoire de la photographie du XIXe siècle, de 1842 à 1896. « Ouvrir l’album du monde » retraçait ainsi l’histoire des débuts de la photographie en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud et décrivait des itinéraires de photographes occidentaux et autochtones, pour la plupart méconnus, tout en révélant la diversité des usages et des pratiques. L’exposition prenait appui sur les collections du Musée du quai Branly, institution la plus dotée en la matière – avec le Getty Museum – et sa politique d’acquisition soutenue.

Une immense carte interactive

La reprise aujourd’hui de ce panorama inédit dans les murs mêmes du Quai Branly bénéficie des acquisitions menées depuis : 80 % des 300 images de l’exposition proviennent des collections du musée, et un ouvrage de référence a été coédité avec Actes Sud. La période couverte se prolonge jusqu’en 1911 avec de récents achats pour l’Inde et Madagascar. Pour exemple, le portrait réalisé dans son studio à Tananarive, par le photographe malgache Joseph Razafy, de deux hommes et une femme – une image choisie pour l’affiche.

« Sur les 101 auteurs différents représentés dans l’exposition, 49 sont des locaux et 52 des étrangers », précise Christine Barthe. Ailleurs, le portrait par le Colombien Luis García Hevia d’un homme de la haute société, daté entre 1843-1850, est la photographie la plus ancienne produite par un photographe local. L’image témoigne de la diffusion au-delà de l’Europe du daguerréotype et ceci peu de temps après sa présentation à Paris le 19 août 1839. « Luis García Hevia est peintre. Il présenta ses premiers essais au Salon de l’industrie de Bogotá en 1841 avant d’ouvrir en 1848 une galerie de daguerréotypie », explique Annabelle Lacour. L’immense carte du monde interactive de l’exposition donne une vision éloquente de la manière extrêmement rapide dont ce procédé, comme la photographie sur papier, s’est répandu en Amérique latine et dans les autres régions du monde. Sa diffusion suit les routes maritimes, l’expansion coloniale, les expéditions et les missions archéologiques ou anthropologiques. Les studios s’établissent dans les villes portuaires et leur essor répond aux désirs de la clientèle locale de disposer de son propre portrait ou de celui de ses proches. L’essor de la photo passe aussi par les cours princières d’Iran, d’Inde, de Thaïlande, du Japon et de Chine, ou, en Europe, au Royaume-Uni, par la reine Victoria et le prince Albert – que sollicita d’ailleurs Mohammad Chah Qadjar, roi d’Iran, pour acquérir du matériel. Les appropriations royales de la photographie, à travers ses mises en scène fastueuses, constituent une des parties particulièrement intéressantes de l’exposition.

Des documents implacables

Le portrait dans ses différents usages domine le parcours et raconte bien des choses sur les auteurs comme sur la condition des modèles. La photographie en 1895 des funérailles d’un chef esclavagiste par le Nigérian Jonathan Adagogo Green atteste ainsi de la persistance à cette date de la traite chez des monarques africains, tandis que les portraits de Marquisiens par Eugène Maunoury réalisés au Pérou en 1863 dénoncent l’enlèvement à des fins de travaux forcés dont furent victimes ces hommes. Les reportages menés en 1874 par le Japonais Tamoto Kenzō sur les Aïnous de l’île d’Hokkaido, tout juste annexée par le Japon, sont tout aussi rares. Ils témoignent des derniers feux du mode de vie ancestral d’un peuple persécuté par la politique d’assimilation du gouvernement japonais. Derrière la belle image, un document implacable. Nombreux sont les fils conducteurs à tirer de ce foisonnant album ouvert sur le monde. Les questions de visibilité et d’invisibilité de la colonisation, ou les raisons d’être de ces images, en sont quelques-unes, qui transparaissent dans les photographies de paysages, de sites archéologiques ou de villes.

Ouvrir l’album du monde. Photographies (1842-1911),
jusqu’au 2 juillet, Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 37, quai Branly, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°611 du 12 mai 2023, avec le titre suivant : Le Quai Branly ouvre son « album du monde »

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