NICE
Les fleurs sont le thème de la nouvelle édition de la Biennale des arts de Nice. Le Musée Matisse en profite pour proposer une exposition croisée entre le peintre moderne et l’artiste britannique David Hockney, qui se rejoignent dans leur quête d’une lumière irradiante.
Nice. Il faut prévoir bien plus de deux années aujourd’hui pour organiser une exposition Matisse d’envergure en empruntant des œuvres du maître à des collections publiques et privées, explique la directrice du Musée Matisse. Pour autant, cela ne signifie pas que ce dialogue improvisé avec Hockney relève de la solution de facilité, ni qu’il n’ait été désiré, bien au contraire. « À chaque fois que je vois une œuvre de David Hockney, je pense à Matisse », confie Claudine Grammont, qui rêvait depuis plusieurs années de créer cette rencontre, pour laquelle elle a travaillé avec la David Hockney Foundation de Los Angeles et avec l’artiste qui vit aujourd’hui pour la majeure partie de son temps en Normandie. Ses « Fresh Flowers » se sont d’abord imposées comme une évidence, vu la thématique de la Biennale des arts niçoise. Ces bouquets de fleurs réalisés sur iPad [voir ill.], les derniers d’une série commencée il y a plus de dix ans, en constituent l’aboutissement, puisque Hockney a désormais arrêté ce type de recherche. Au Musée Matisse, une vingtaine de tirages sur papier de 2021 résultant d’une impression à jet d’encre sont alignés dans des cadres en bois ouvragé dont il a acheté un stock, séduit par leur style à l’ancienne contrastant avec l’esthétique numérique. Peut-on rapprocher ces natures mortes digitales des papiers gouachés découpés de Matisse ? Sans doute, car dans les deux cas, l’exercice témoigne d’un goût pour l’expérimentation et la sérialité.
Au détour d’une salle, une vidéo invite à regarder l’enregistrement, en accéléré, de l’écran de l’iPad sur lequel David Hockney réalise deux « Fresh Flowers », en mars et avril 2021. La démonstration, est, à coup sûr, très ludique. On attend cependant de rentrer dans le vif du sujet : la peinture. Celle-ci procède d’abord, si l’on suit la logique de l’exposition, d’une question de perception. La mise en cause de la perspective traditionnelle est à l’origine de plusieurs travaux de l’artiste britannique dans les années 1980, notamment ses photocollages, rappelle Claudine Grammont. L’un d’eux, Sitting in the Zen Garden at the Ryoanji Temple, où l’on devine sa posture, jambes croisées, est accroché en début de parcours où il voisine avec Paysage de Saint-Tropez (1904), dessin dans lequel Matisse introduit dans le paysage sa main et son pied ainsi que la feuille sur laquelle il crayonne. Présence du corps à l’œuvre, fugacité de l’instant. Dans l’entretien que publie le catalogue, Hockney rapporte une citation de Delacroix, selon laquelle un artiste doit être « assez habile pour faire le croquis d’un homme qui se jette par la fenêtre pendant le temps qu’il met à tomber du quatrième étage ». Ce sens aiguisé de l’observation sur le vif, commun à Matisse et Hockney, s’illustre particulièrement dans les portraits où ils ont chacun pris pour sujet leurs proches saisis dans des moments d’abandon. Ainsi de la gravure Petit bois clair (1906) croquant au plus près une muse de Matisse, accrochée en vis-à-vis de l’estampe Celia in a Polka-Dot Skirt (1980). Il est amusant aussi de rapprocher une Étude d’antique matissienne de la fin du XIXe siècle des « Boys in a Shower » peints par Hockney dans les années 1970. Les deux peintres partagent également un tropisme pour le Sud, Nice pour Matisse, la Californie pour Hockney, en quête d’une lumière qui irradie leurs toiles et communique cette joie pure que Hockney perçoit dans celles de son aîné (« full of joy »). Le principe en est toujours actif dans les chefs-d’œuvre réunis ici, Intérieur à la fougère noire de Matisse, Fire Island Interior (1976) de Hockney, et dont la présence met sur la piste de ce « Paradis retrouvé ».
Autour du thème des fleurs, un bouquet d’expositions
Le programme de la Biennale des arts de Nice ménage un savant dosage de thématiques patrimoniales et d’art contemporain. Dans le superbe édifice patricien du Musée Massena, « Nice, reine des fleurs » apporte au thème générique un éclairage historique, sociologique et même politique. Inédite en France, la présentation de la série « Roses from my Garden » du photographe Nick Knight, connu pour ses clichés de mode, flirte avec le kitsch, tandis que, dans la galerie attenante, « Anthèses » met à l’affiche l’artiste Catherine Larré, découverte par le commissaire de la Biennale, Jean-Jacques Aillagon. « Flos vitae » convoque, elle, herbiers, aquarelles et botanique pour une histoire naturelle des fleurs… En tout, onze expositions sont à découvrir jusqu’à la fin de l’année. Notre préférence va à « Power Flower », qui réunit une quarantaine d’artistes contemporains sur une proposition de la commissaire Marie Maertens. La vaste halle du 109 est un espace ingrat, mais la densité de la sélection, qui comprend quelques œuvres spécifiquement produites et a bénéficié du soutien d’une vingtaine de galeries parisiennes, parvient à le faire oublier. Le parcours se déroule à la façon d’un cadavre exquis, depuis un mural jouant de l’étrangeté du végétal de Robert Brambora jusqu’à une sculpture organique ambiguë de Rachel de Joode, d’une photographie mêlant végétation et architecture moderniste de Caio Reisewitz à une série de monochromes présentés sous vitrine de Kees Visser. C’est à l’automne seulement que le Mamac se joindra au programme avec « Devenir Fleur », ambitieuse exposition pluridisciplinaire.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : La rencontre Hockney-Matisse illumine la Biennale de Nice