PARIS
Dix ans après la disparition du photographe, le Centre Pompidou propose une relecture inédite et globale de son œuvre à travers l’itinéraire d’un homme qui a porté ses pas au-delà de la photographie.
PARIS - Lors des colloques « Images de l’Histoire » et « Revoir Cartier-Bresson » organisés en 2008, respectivement au Centre Culturel International de Cerisy et au Petit Palais, une première relecture de l’œuvre avait engagé des approches inédites du photographe. Tout particulièrement celle de Clément Chéroux qui, à la notion d’instant décisif, préférait substituer celle de tir photographique beaucoup plus « propice », disait-il, « à l’analyse de son œuvre dans toute sa complexité esthétique et chronologique. » Le conservateur pour la photographie au Centre Pompidou qu’il était alors, expliquait pour la première fois une vision autre que celle jusque-là pensée au travers du prisme de l’instant décisif, « utile pour aborder un certain nombre de photographies d’Henri Cartier-Bresson mais pas suffisante pour regarder l’œuvre dans son entièreté. Le photographe lui-même avait peu employé l’expression, et se disait volontiers exaspéré de l’entendre en toutes circonstances », rappelait alors Clément Chéroux.
« Henri Cartier-Bresson l’avait mentionné à plusieurs reprises, en particulier en 1986 à Gilles Mora », soulignait-il : « Pour moi la grande passion c’est le tir photographique, qui est un dessin accéléré, fait d’intuition et de reconnaissance d’un ordre plastique, fruit chez moi de la fréquentation des musées et des galeries de peinture, de la lecture et d’un appétit du monde », lui avait déclaré le photographe. « J’aime et j’ai aimé photographier. » Le reste pour le grand amateur de chasse qu’Henri Cartier-Bresson fut dans sa jeunesse, « ce ne fut pas mon métier », disait-il encore à Pierre Assouline. « Moi c’est le tir. Pas le tirage ou l’accrochage. Pour ça je fais confiance aux copains. »
La construction d’un personnage complexe
Revoir donc Henri Cartier-Bresson à travers cette notion de tir photographique « pour mieux l’envisager dans son rapport au monde », c’est ce qu’entreprend aujourd’hui le commissaire au Centre Pompidou, sans toutefois l’énoncer de manière explicite. Au-delà de l’œuvre déroulée, il la suggère à travers des portraits du photographe en action et deux merveilleux films – l’un de Roger Kahane (1962), l’autre de Gjon Mili (1956) – le suivant dans ses prises de vue dans la rue, discret, souple et invisible aux yeux des passants. La relecture de l’œuvre se veut en effet plus large. Elle l’est, comme on a pu la découvrir dans le catalogue édité en novembre dernier.
Onze ans après l’exposition que lui a consacrée de son vivant l’éditeur Robert Delpire en 2003 à la Bibliothèque nationale de France, et quatre ans après celle de Peter Galassi au MoMA, le positionnement de l’historien de la photographie est autre. À partir d’un long travail poursuivi dans les archives de la Fondation Cartier-Bresson, il s’engage dans un parcours chronologique et historique qui n’a étonnamment jusque-là jamais été entrepris, montrant qu’il n’y a pas eu un, mais plusieurs Henri Cartier-Bresson.
Un Henri Cartier-Bresson surréalisant dans les années 1930, aventurier et engagé politiquement, laissant place après-guerre au cofondateur de la coopérative Magnum à la photographie, désormais plus en phase avec l’humanisme et une pratique du photojournalisme davantage à l’écoute des contraintes des commanditaires. Découpage rigoureux, tirages réalisés à l’époque de la prise de vue dont de nombreux inédits placés aux côtés des clichés célèbres, films et documents divers (revues, albums, tracts, ouvrages…) : d’une période à une autre le propos éclaire le cheminement de l’homme, depuis sa naissance et ses premiers clichés d’adolescents et peintures – dont celle de la façade de l’église Guermantes (1924) réalisée à 16 ans qui ramène au peintre qu’il voulut être à ses débuts et au grand lecteur qu’il fut toute sa vie, en particulier de Proust – jusqu’à la méditation bouddhiste, la contemplation et l’épure qui dominent ses dessins et dernières images des trois dernières décennies. Nombreux sont les passages de relecture particulièrement marquants tout au long de la traversée. Ceux en particulier de l’iconographie surréaliste que Clément Chéroux revisite à la lueur de motifs emblématiques du mouvement, mais ceux aussi de l’engagement militant, que ce soit durant les années antérieures ou postérieures du Front populaire, de la Guerre d’Espagne ou au cours de la Libération (émouvant album inédit sur Oradour-sur-Glane après sa destruction).
Le commissaire est le premier à se pencher sur cette période communiste des années 1934-1945 dont on retrouvera après-guerre les incidences dans la structure de Magnum, mais aussi dans les voyages entrepris en Russie, en Chine ou à Cuba. Il est également le premier à avoir été autorisé par la Fondation Henri Cartier-Bresson à montrer la couleur dans une courte séquence d’images – couleur que le photographe se refusait d’associer à ses images noir et blanc, et donc révélée ici tel un document et non comme une œuvre–, mais aussi à faire surgir d’autres images tout aussi marquantes que les plus connues.
Commissaire : Clément Chéroux
Nombre d’œuvres : 500, dont 350 photographies
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Henri Cartier-Bresson sous tous les angles
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Consulter la fiche biographique de Clément Chéroux
Légende Photo :
Henri Cartier-Bresson, Rue de Vaugirard, Paris, France, mai 1968, épreuve gélatino-argentique, tirage réalisé en 1984, collection Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris. © Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos, courtesy Fondation Henri Cartier-Bresson.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : Henri Cartier-Bresson sous tous les angles