Fondation

Henri Cartier-Bresson : ouverture de sa fondation à Paris

Par Michel Frizot · Le Journal des Arts

Le 16 mai 2003 - 1336 mots

PARIS

Directeur de la Fondation Cartier-Bresson, qui vient d’ouvrir ses portes, éditeur depuis les années 1950, de nombreux photographes (parmi lesquels Henri Cartier-Bresson, Robert Frank et Josef Koudelka), ancien directeur du Centre national de la photographie, Robert Delpire est en outre commissaire de l’exposition que présente la Bibliothèque nationale de France, et réalisateur du catalogue pour Gallimard. Il répond à nos questions.

Pourquoi avoir opté pour une fondation, plutôt que pour une autre forme institutionnelle, alors que la formule de la fondation, s’agissant d’un artiste, est parfois remise en question ?
L’idée centrale est de conserver tout l’œuvre de Cartier-Bresson, ainsi que ses diverses archives, et surtout, d’aller au-delà, de la faire vivre. C’est un problème en soi, pour beaucoup de photographes – peut-être plus que pour d’autres artistes –, que de donner une pérennité à leur travail révolu, car la spécificité de l’œuvre photographique, assez mal connue et évaluée, ce sont les négatifs.
Les œuvres elles-mêmes, sous forme de tirages, sont très logiquement éparpillées dans le monde, mais la réalité d’un travail, ce sont ces négatifs accumulés, qui ne donnent que sélectivement lieu à un tirage, en fonction des choix très serrés que font les photographes et, dans le cas d’HCB, on sait que cette exigence est très sévère. Il y avait donc la solution de confier cette archive (photographique, mais pas seulement) à l’une des institutions existantes, muséale par exemple. Mais, en France en tout cas, celles-ci ne sont pas équipées pour accueillir un tel ensemble de manière rationnelle. Et surtout, elles ne peuvent le faire vivre. Il y aurait parfois des capacités de conservation, mais pas d’activité, comme cela est possible et souhaitable avec une fondation. Ce qui compte pour HCB et son épouse Martine Franck, très étroitement associée à ce projet, c’est d’avoir une collection disponible, dans un lieu particulièrement ouvert qui ne soit ni un musée, ni un mausolée, contraires aux soucis de partage de Cartier-Bresson. Cette formule à dominante privée apporte des garanties de suivi, en accord avec cette conception d’une œuvre toujours vivante. Elle a levé la réticence de Cartier-Bresson à l’égard de ce qui pourrait être perçu comme personnel, tourné vers sa seule personne.

Comment s’est ensuite concrétisé ce projet, l’aspect matériel étant pour beaucoup dans le succès d’une telle entreprise ?
Il s’est trouvé qu’après un long temps de réflexion, au moment où Henri était fixé sur ses intentions, nous avons découvert, lors d’une visite fortuite, un local adéquat, que HCB a d’emblée adopté. C’est un petit immeuble sur cinq étages, tout d’acier et de verre, ancienne galerie de photographie de surcroît, situé dans le 14e arrondissement, tout près de la gare Montparnasse. La rénovation a été confiée à l’agence Ceria et Coupel, connue pour son travail à la Fondation Dapper. Ils ont conçu ici un espace à la fois pratique pour la circulation, la facilité de présentation d’expositions et le confort de la consultation, qui sont des impératifs pour  cette fondation. Le rez-de-chaussée abrite une petite librairie, les deux niveaux suivants sont aménagés en salles d’exposition permettant, pour donner une idée, de déployer une soixantaine de tirages de format moyen. Aux autres niveaux se tiendront les projections de films ou vidéos pour le public, les réunions, l’administration. Le sous-sol contient les archives, dans des conditions optimales de protection et de préservation.
Nous avons recherché un lieu fonctionnel pour la mise à disposition aux chercheurs et à un large public, des archives et de l’œuvre, dans le souci de montrer : non seulement le travail d’Henri mais l’éthique dont il procède, telle qu’elle vit aussi à travers les approches similaires de nombreuses autres œuvres. HCB, on le sait, n’apprécie pas la personnalisation, ceux qui le connaissent savent que, pour lui, générosité et altruisme ne sont pas de vains mots.
Un conseil d’administration et un conseil d’orientation piloteront cette fondation présidée par Henri Cartier-Bresson. À mes côtés, la sous-direction est assurée par Agnès Sire.

Comment peuvent se concilier à la fois l’exemplarité d’un fonds photographique célèbre, et cette non-personnalisation de la fondation, voulue par Cartier-Bresson, que vous évoquiez ?
Le souhait d’Henri est de fonder une maison pour son œuvre et pour les autres, aussi ; le champ est très ouvert. Pour HCB lui-même, cela inclue ses dessins ; les autres, ce seront non seulement des photographes mais aussi des peintres, des dessinateurs, des sculpteurs. C’est une mouvance de réflexions, de conceptions, d’ouvertures sur la vie qui est concernée.
Il faut aussi que cette fondation soit tournée vers l’extérieur : les expositions initiées par la Fondation circuleront de par le monde. Ce rôle sera assuré par Magnum, l’agence fondée par HCB, qui continuera à exploiter ses photographies pour la presse. La vente de tirages de collection se fera par l’intermédiaire de la Fondation. Maintenant, on travaille par numérisation, ce qui est un moyen de sauvegarde exceptionnel, et rend caduques les problématiques de continuité de tirage, de production d’internégatifs.
D’autre part, après quelques années de sommeil, le Grand Prix international Cartier-Bresson (HCB Award) est relancé par la Fondation, qui le décernera tous les deux ans, avec le soutien de la banque NSMD et de NSM Vie. Créé en 1988, il a été notamment décerné à Chris Killip et Josef Koudelka. C’est un prix d’aide à la création (de 30 000 euros) s’adressant à des photographes d’une sensibilité proche du reportage et de l’éthique de Cartier-Bresson.
 
Comment définiriez-vous cette éthique que vous voulez également éclairer dans l’exposition de la BNF et qui orienterait les actions de la Fondation ?
L’exposition inaugurale de la Fondation répond, autant que l’exposition personnelle de la BNF, à cette question. Je crois qu’il faut mettre les deux en parallèle pour comprendre à la fois la réflexion constante de Cartier-Bresson sur ce qu’il photographie, et la circulation de ces mêmes idées chez d’autres photographes.
Cette première exposition de la Fondation s’intitule “Les choix d’HCB” ; ce sont les photos qu’il aime, qu’il a choisies, parce qu’elles l’ont touché, elles ont joué un rôle à un moment de sa vie ; ou bien il y retrouve un même parti pris à l’égard de la photographie, une philosophie de la photographie. Ce n’est pas, en tout cas, une exposition personnelle, c’est, symboliquement, celle des autres : Atget, Álvarez Bravo, Riis, Kertész, Depardon, Evans, ou Model, en 90 photos. Nous préparons ensuite une exposition Inge Morath, puis vraisemblablement une évocation du tournant des années 1900, avec Riis et Hine. Cette fondation est un lieu pour la photo, une certaine idée de la photo, que Cartier-Bresson représente avec clarté.

Vous-même avez participé à cette aventure par votre amitié avec Cartier-Bresson, et beaucoup de photographes de cette mouvance. Cette connaissance directe de l’homme et de ce sujet alimente l’exposition de la BNF. Quel regard portez-vous sur cette période très fertile ?
J’ai rencontré Cartier-Bresson en 1951 pour faire un numéro de la revue Neuf, que j’animais alors. Je connaissais déjà Robert Frank depuis quelques années. Quand je suis allé voir Henri, il y avait là Capa et Seymour (Chim), par hasard. Il y a eu sympathie réciproque entre nous tous. Ma pente naturelle me portait vers ce genre de photo, qui n’était pas du journalisme classique. C’est ce que j’ai voulu montrer dans l’exposition, cette manière d’aborder une question sociale ou politique en faisant de la photo. Cartier-Bresson n’a jamais fait de sauts de puce pour photographier deux jours par-ci, trois jours par-là ; il s’installait pour un temps dans un pays, que ce soit le Mexique, l’Inde, la Chine. Ce qui ne l’empêche pas de prétendre qu’il était là par hasard quand se produisait l’assassinat de Gandhi, ou l’avènement de la république en Chine… C’est cette faculté de prévision, basée sur la connaissance et la réflexion, que j’ai voulu rendre lisible dans l’exposition, en tant que démarche mentale. Car c’est ce que j’ai ressenti de cette approche singulière du monde et de cette éthique dont je parlais.

Les choix d’Henri Cartier-Bresson

Fondation Henri - Cartier-Bresson, 2 impasse Lebouis, 75014, Paris, du mardi au vendredi 13h-18h, mercredi jusqu’à 21h, samedi 11h-18h45.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°171 du 16 mai 2003, avec le titre suivant : Henri Cartier-Bresson : ouverture de sa fondation à Paris

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