Un Cartier-Bresson inconnu à New York

Photographie

Le Journal des Arts

Le 26 mai 2010 - 787 mots

Le Museum of Modern Art à New York rend hommage au photographe Henri Cartier-Bresson, disparu en 2004, à travers 300 clichés pris de 1929 à 1989, du Mexique au Japon, de l’URSS aux États-Unis. Avec nombre d’inédits, la rétrospective propose une nouvelle lecture de son œuvre pour révéler l’anarchiste de la modernité.

NEW YORK - Cinq cartes de géographie retracent sa traversée du XXe siècle. En avion, en bateau, en train ou à bicyclette, le reporter Henri Cartier-Bresson (1908-2004) a bourlingué durant soixante ans du Mexique au Japon, de l’URSS à l’Inde. Aux antipodes de l’image d’esthète qui colle au cofondateur de l’agence de presse Magnum, la première rétrospective posthume, « Henri Cartier-Bresson : The Modern Century », qu’organise the Museum of Modern Art (MoMA) de New York, révèle l’anarchiste de la modernité.

Trois cents clichés datés de 1929 à 1989, dont un cinquième est inédit, relisent une œuvre à l’envergure historique, selon Peter Galassi, conservateur en chef de la photographie au MoMA. Le commissaire de l’exposition met en exergue une vision écartelée « entre [le] goût [de Cartier-Bresson] pour le monde finissant de traditions, qu’il appréciait en Orient comme en Occident, et la modernité, qu’il définissait comme la culture de la consommation qui s’est développée en Europe dans les années 1950 ».

Avec le prêt de deux cent vingt épreuves tirées de ses archives, la Fondation Henri - Cartier-Bresson paie la dette du photographe envers l’Amérique. Dès 1934, la galerie Julien Levy l’expose à New York. En 1947, le MoMA, croyant le reporter porté disparu pendant la guerre, le consacre dans une rétrospective « posthume », suivie en 1968 de « Cartier-Bresson, Recent Photographs » et en 1987 de « Early Works », exposition dévolue à ses œuvres de jeunesse.

La civilisation pour sujet
La vocation de Cartier-Bresson se dessine en Côte d’Ivoire où l’artiste peintre âgé de 22 ans, formé dans l’atelier du cubiste André Lhote, se met à la photo en 1930. Au surréalisme qu’il expérimente au Mexique en 1935, ce fils d’industriels gauchiste préfère les portraits de société. Dès lors, son Leica va scruter les répercussions de la politique à travers le quotidien des nations.

Enfonçant le clou du témoin de son temps à l’esprit libertaire, l’exposition s’ouvre sur « Les funérailles des victimes de Charonne, 1962 » : neufs manifestants en faveur de l’indépendance de l’Algérie ont subi une ratonnade policière. Ses images prises à la sauvette composent la scène parfaite. « Stylistiquement, Cartier-Bresson est un génie, mais le sujet de son œuvre est la civilisation », estime Peter Galassi.

Thématique, l’accrochage dense met en regard « Anciens » et « Nouveaux » mondes industrialisés à travers des images tantôt banales tantôt frappantes : ainsi l’instantané, méconnu, d’une Allemande en pleurs couchée dans les ruines de Dessau en 1945 dément-il l’absence d’émotion que critiquait Robert Frank.

Avec Robert Capa et trois amis, le photojournaliste fonde en 1947 à New York l’agence coopérative Magnum. Basé en Orient de 1948 à 1950, il fixe la grâce de danses balinaises et « couvre » la mort de Gandhi, l’avènement de la République populaire de Chine, l’accession à l’indépendance de l’Indonésie. En 1954, il est le premier photographe admis dans une URSS rivalisant d’ambition avec l’Amérique, où son œil moquera l’arrogance de Wall Street et le rêve américain des années 1960-1970. « Henri était représentatif des Français de sa génération qui regardaient les États-Unis comme effrayants, ridicules, quasi fascistes, un pays de l’argent sans esprit, militaire, raciste et donc fascinant », sourit Peter Galassi, qui fut son ami.

« Avec l’œil de Poussin »
En 1955, le Suisse Robert Frank, censuré, raillait « Les Américains » : « Cartier-Bresson regarde la même chose mais avec l’œil de Poussin », reprend cet historien de l’art. La rue métissée, les routes à l’infini montrent pourtant une vision qui se fond dans celle de Garry Winogrand et de Lee Friedlander.
Deux séries inédites, « China 1958 », qui documente le « grand bond en avant », et les coulisses de la Bankers Trust Company renvoient dos à dos « le communisme et le capitalisme au travail ».

En 1968, ce contestataire capte dans les devantures de supermarchés le reflet d’un consumérisme qu’il exècre. Une image du Club Méditerranée brocardant la société des loisirs conclut une thèse que la rétrospective envisagée au Musée national d’art moderne du Centre Pompidou à l’horizon 2013 pourrait bien contredire.

HENRI CARTIER-BRESSON : THE MODERN CENTURY

Jusqu’au 28 juin, The Museum of Modern Art, 11 West 53rd Street, New York, NY, tél. 212 708 94 00. Exposition en ligne sur le site www.moma.org.

Catalogue, éd. du MoMA, 376 p., 75 dollars, ISBN 978-0-87070-778-0 ; édition française, éd. Hazan, 55 euros, ISBN 978-2-75410-469-2 (à paraître le 2 juin).

HENRI CARTIER-BRESSON

Commissaire de l’exposition : Peter Galassi, conservateur en chef de la photographie au MoMA

Nombre d’œuvres : environ 300

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Un Cartier-Bresson inconnu à New York

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque