Photographie

Cartier-Bresson - Parr, une mésentente toute relative

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 21 décembre 2022 - 683 mots

PARIS

Ayant défendu des approches différentes de leur sujet comme de leur art, Henri Cartier-Bresson et Martin Parr n’ont pourtant jamais été des adversaires comme le laisse entendre la Fondation HCB.

Paris. En 1986, François Hébel, alors directeur des Rencontres d’Arles, programmait la première exposition « Martin Parr » en France. Trente-six ans plus tard, alors qu’il s’apprête à quitter la direction de la Fondation Henri Cartier-Bresson, il inaugure l’espace aménagé au sous-sol du bâtiment avec une exposition dont le titre « Réconciliation : Henri Cartier-Bresson avec Martin Parr » n’aurait certainement pas manqué de faire réagir Cartier-Bresson (1908-2004) de son vivant. Car il laisse entendre une fâcherie tenace entre le cofondateur de Magnum Photos et le photographe britannique (né en 1952) dont l’admission en 1988 dans la célèbre agence provoqua, il est vrai, la farouche opposition de certains photographes. Ce qui ne fut pas vraiment le cas pour Cartier-Bresson quand on remonte dans l’histoire. Le photographe a alors 80 ans. Depuis les années 1970, il se consacre davantage au dessin qu’à la photo et s’est retiré de Magnum. Il ne participe plus aux votes organisés lors du meeting annuel de l’agence au cours duquel les candidatures des potulants sont examinées. Il n’a pas davantage mené campagne contre Martin Parr lors de son admission ni au cours des différentes étapes qui le virent six ans plus tard devenir membre permanent, contrairement à Philip Jones Griffiths, certainement le plus virulent opposant à Martin Parr chez Magnum. Seule preuve de la discorde, les deux fax – reproduits à côté du texte d’introduction à l’exposition – échangés entre les deux hommes à la suite de la réaction de Cartier-Bresson devant les photographies de Martin Parr exposées au Centre national de la photographie, en 1995. « Étant [un] photographe impulsif, je regrette que ce soit seulement en me retrouvant dans la rue que j’aie mesuré combien excessive avait été ma réaction à votre travail, dont je ne connaissais quasiment rien. La seule chose essentielle que j’aie dite, lors de notre rencontre, “Nous appartenons à deux systèmes solaires différents – et pourquoi pas ?” Fidèlement », lui écrit ainsi Cartier-Bresson. Missive à laquelle Martin Parr répondra par ces mots : « Cher Henri, Merci pour votre fax. Je reconnais qu’il y a un gouffre entre votre célébration de la vie et mon regard implicitement critique. Mon intuition me dit que c’est la problématique qu’il me faut traiter à travers la photographie. Ce que j’aimerais mettre en question avec vous est : “Pourquoi fusiller le messager ?” Sincèrement. Martin Parr. » Un déjeuner entre les deux hommes, organisé par la suite par Martine Franck, l’épouse d’Henri Cartier-Bresson, leur permettra de se rencontrer.

Deux regards sur l’Angleterre

Alors pourquoi un tel titre pour une exposition conçue à la faveur de l’exhumation par la Cinémathèque française du documentaire Stop laughing. This is england (« cessez de rire, ceci est l’Angleterre), réalisé en 1963 par le cinéaste britannique Douglas Hickox à partir du reportage photographique mené par HCB un an plus tôt dans le nord de l’Angleterre ? Projeté dans le hall d’entrée, le visionnage de ce film de 20 minutes est un préalable conseillé avant de découvrir une partie de ces images en noir et blanc mises en regard avec celles aux couleurs vives prises par Martin Parr sur cette même région à partir des années 2000. Car le rapprochement de ce travail avec celui de Parr n’avait pas besoin de ce titre équivoque, accrocheur, pour être intéressant.

L’esthétique noir et blanc de Cartier-Bresson tranche avec celle en couleurs de Parr comme leur vision des Anglais au travail ou dans leurs loisirs. « Avec mon appareil photo, j’ai regardé le nord de l’Angleterre de la même manière que j’ai regardé d’autres pays. J’ai seulement suivi la foule avec un œil amusé mais respectueux », précise HCB dans le film. L’humour de Martin Parr est plus piquant, plus critique. Leurs photographies sur l’Angleterre correspondent surtout à deux époques que tout oppose : la fin de l’apogée de l’ère industrielle et commerciale du Royaume-Uni pour Cartier-Bresson, les conséquences sociales de la crise économique à partir des années 1970 pour Parr. Deux époques par définition inconciliables.

Réconciliation : Henri Cartier-Bresson avec Martin Parr,
jusqu’au 12 février 2023, Fondation Henri Cartier-Bresson, 79, rue des Archives, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : Cartier-Bresson - Parr, une mésentente toute relative

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