Le gribouillage est depuis toujours resté dans l’ombre de la création artistique. Les Beaux-Arts de Paris ouvrent le dossier, peut-être trop largement.
Paris. Dire que le « gribouillage » est un sujet à la marge de l’histoire de l’art n’est pas qu’une expression figurée : aux Beaux-Arts de Paris, il se retrouve aux revers des dessins, caché sous les fresques, et dans les marges même des cahiers d’Eugène Delacroix. L’exposition « Gribouillages » consacre un parcours entier à une pratique plastique que partagent tous les artistes, mais qui a été reléguée dans les fonds d’ateliers, au dos d’œuvres insignes, avant de devenir, au XXe siècle, un sujet en soi. Sujet original, il est surtout fondamental pour la recherche en histoire de l’art : avec le gribouillage, on touche directement aux questions de la création, de la réception et de ce qui définit une œuvre d’art. Les deux commissaires, Diane Bodart et Francesca Alberti, ont saisi ces enjeux en offrant un parcours dense qui défriche l’essentiel du sujet pour le grand public.
La scénographie sert les ambitions scientifiques de l’exposition : ces œuvres jusque-là dédaignées bénéficient d’une architecture de cimaises monumentales. Isabelle Raymondo a fait le choix de grandes percées visuelles et de sobres parallélépipèdes pour des œuvres relativement petites : l’éclairage met ainsi en valeur les œuvres graphiques parsemées tout du long du parcours.
Le corpus réuni dans les salles des Beaux-Arts couvre les six derniers siècles de création, principalement européenne, avec l’idée que la pratique du gribouillage accompagne les artistes depuis l’époque moderne. Dès l’entrée, la sinopia (l’ébauche) d’une fresque de l’atelier de Benozzo Gozzoli pose les enjeux de ces dessins que personne n’aurait dû voir : le rapport au travail, la réflexion de la main, mais aussi la liberté, voire l’absurdité : que font ces deux figures combattant sur le sommet d’un crâne de profil ? La présentation concomitante des œuvres anciennes et modernes montre la filiation entre le « componimento inculto » (composition inculte) de Léonard de Vinci et les tourbillons libres de Cy Twombly. La présence des dessins contemporains – et notamment la sélection d’œuvres d’Henri Michaux – donne une légitimité au propos : certes les gribouillis plus anciens sont des documents de travail, des traces d’ennui, mais la façon dont ils résonnent avec les créations du XXe siècle confirme qu’ils sont un peu plus que cela.
L’exposition est organisée selon cinq séquences dont le visiteur a du mal à tirer une progression. Les commissaires ont fait le choix de débroussailler le plus de pistes possibles inhérentes à la thématique : l’enfance, le jeu, le travail d’atelier… Le parcours souffre ainsi d’un manque de définition des limites du sujet, écueil assumé par les commissaires : « Nous avons voulu garder une idée du gribouillage assez ouverte », explique Diane Bodart. Le graffiti, les œuvres rupestres, les dessins à la craie sur les murs sont-ils à rapprocher du gribouillis pratiqué dans l’intimité de l’atelier ? Les caricatures du Bernin, captant l’essence d’un personnage en cinq traits, ne relèvent-elles pas de la maestria du dessin, plutôt que des errements d’un gribouillage ? Après l’exposition, voilà des réflexions auxquelles pourra se livrer le visiteur, en gribouillant dans le coin d’un carnet.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°608 du 31 mars 2023, avec le titre suivant : « Gribouillage », une exposition défricheuse