Son œuvre illumine les cimaises du Centre Pompidou et retrace, par cycles, l’évolution de son travail depuis les années 1950 jusqu’à ses dernières peintures.
PARIS - Des formes, mais surtout des lignes, flottent partout sur des fonds crémeux. Dans les toiles de Cy Twombly, le « sol », comme dans une page d’écriture, reste le plus souvent inoccupé. Des structures mouvantes et imprévisibles forment des amalgames évasifs. Des compositions à partir de traits irréguliers, inachevés, entrelacés, qui se chevauchent et s’entrecroisent, aboutissant à un « tissu des incertitudes », où les connexions, les liaisons, se perdent et réapparaissent sans cesse et où l’autorité du regard cède la place au tâtonnement de l’œil.
Il faut suivre le parcours chronologique que propose le musée, pour comprendre l’évolution de l’œuvre, puis se laisser aller à la dérive dans ce labyrinthe magnifique où les travaux s’organisent en vastes cycles qui alternent. L’exposition, grâce à des prêts exceptionnels, se focalise sur trois ensembles : « Nine discours on Commodus », 1963, « Fifty Days at Iliam », 1978 et « Coronation of Sestosris », 2000, tout en permettant un aperçu de l’œuvre entière.
Le parcours s’ouvre sur quelques travaux qui oscillent entre figuration et abstraction (Min-Oe, 1951). Rapidement, toutefois, avec la série « Lexington » de la même année, avec les toiles réalisées après le séjour de Twombly en Afrique, les figures laissent la place aux lignes noires épaisses qui forment des réseaux denses et sombres.
Puis, dans les salles suivantes, apparaissent les premières œuvres dans le style « classique » de l’artiste, qui s’approche en apparence de l’abstraction gestuelle d’un Pollock et du traitement all over, où des signes sont dispersés sur toute la surface de la toile sans hiérarchie aucune. Twombly aurait pu faire partie de la génération des « géants » mythiques, les expressionnistes abstraits, qui ne renoncent pas à l’idée romantique du corps à corps entre créateur et matière, à l’acte héroïque voire désespéré. Cependant, ses références classiques, son écriture qui évite tout dramatisme bruyant et se définit comme une expérience personnelle de la ligne, sa situation d’exilé volontaire à Rome, sont les indications d’un trajet singulier et discret.
Du graphiti à l’écriture ciselée
Sa peinture évolue rapidement vers un langage qui mêle écriture automatique et inscriptions, avec des références fréquentes à la culture gréco-latine (Homère, Virgile) ou encore à des poètes comme Stéphane Mallarmé, Paul Valéry ou John Keats. Les mots et les chiffres qui peuplent ses toiles, les titres, apparaissent comme des échos personnels et émotionnels, éléments épars et allusifs de sa mémoire. Le geste pictural, lui, semble ne rien signifier d’autre que « la perception de sa propre réalisation » (Twombly). Une progression semble apparaître dans son œuvre ; aux graffitis serrés, convulsifs des débuts (Criticism, 1955) succèdent les tracés éclairs fugitifs qui sillonnent à toute vitesse le champ blanc ou gris de ses immenses toiles. (Dutch Interior, 1962). L’écriture scripturale et graphique donne sa cohésion à la trame légère de ses tableaux, partitions aux notes flottantes ou poésie hiéroglyphique. Une fausse écriture, toutefois, qui séduit sans se laisser déchiffrer, qui plonge le spectateur entre plaisir et frustration, face à un secret dont il ne capte que le murmure. Ces dessins, signes flottants ou paresseux qui s’élèvent ou s’étirent, ne nous informent de rien, sinon de leur existence, de leur délicatesse, de leur vulnérabilité. Ils agissent comme des traces légères – quelques traits de crayon, quelques lignes d’encre noire, quelques taches d’aquarelle fuyantes, qui menacent de s’évanouir. « C’est en somme une écriture dont il ne resterait que le penchement, la cursivité, cela tombe, cela pleut finement, cela se couche comme des herbes », remarque Roland Barthes pour qui les signes-ratures de Twombly tentent de rendre visible le temps, le tremblement du temps. (Sans titre, A Gathering of Time, 2003). Les traits chez l’artiste sont faits au crayon, mais aussi à la craie de couleur vive, ponctuations ou touches de grâce, qui font vibrer ces surfaces noires et blanches. Cependant, la délicatesse qui se dégage ne tourne jamais à la mièvrerie, car l’aspect sophistiqué, la finesse infinie des tracés n’exclut pas une certaine violence contenue ou transformée en énergie érotique. Des écoulements sanglants deviennent plus fréquents et donnent lieu à une dernière série de fleurs, de taches rouges qui envahissent la surface (Blooming, 2001-2008). Pour finir, il faut s’arrêter devant les sculptures, blanches et verticales, placées face aux grandes baies qui s’ouvrent sur Paris. Une fois n’est pas coutume, les œuvres d’art s’accordent parfaitement avec le panorama urbain et forment un ensemble splendide d’archi-sculptures.
Commissaire : Jonas Storsve
Œuvres : 140
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Cy Twombly fait bouger les lignes
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Abonnez-vous dès 1 €Centre Pompidou, 19 rue Beaubourg, 75004 Paris, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h, entrée 14 €, catalogue 320 p., 45 €.
Légende Photo :
Cy Twombly, Sans titre (Lexington), 1951, peinture industrielle sur toile, 101,6 x 121,9 cm, Cy Twombly Foundation. © Photo : Cy Twombly Foundation, Archives Nicola Del Roscio.
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Consulter la fiche biographique de Cy Twombly
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°470 du 6 janvier 2017, avec le titre suivant : Cy Twombly fait bouger les lignes