PARIS
Consacrée à la production graphique de Cy Twombly, une exposition du Centre Pompidou souligne l’énergie d’un travail commencé il y a cinquante ans.
PARIS - Le Musée national d’art moderne affiche son ambition au travers de son actuel accrochage. Effet circonstanciel, sans doute, qui pourtant explicite la volonté de rendre visible des œuvres du XXe siècle pour les installer dans le panthéon des figures majeures du siècle juste refermé. Voici donc Anselm Kiefer au nord, Cy Twombly au sud. Tout au bout de la travée, la pièce importante – du moins… en taille –, de l’artiste allemand, pièce récemment acquise (La Vie des plantes, 10 panneaux, 2001) ; à l’autre extrémité du couloir, occupant les espaces de la galerie d’art graphique et de la galerie du musée, une exposition substantielle intitulée « Twombly, cinquante années de dessins ». Qu’est-ce donc qui associe les deux artistes, au-delà de la circonstance ? La nature d’une peinture qui, en toute connaissance d’histoire, touche à l’informel et, dans le même temps, se resserre autour d’un geste pictural spécifique : l’écriture. La présence du signe alphabétique, du mot, du nom, vient souligner leur singularité plastique, au risque même de « faire style ». Surtout, cette place laissée au mot permet d’attirer dans le champ du tableau des références culturelles, références aux figures de la mythologie antique comme de la modernité artistique ou aux héritages des cultures savantes. L’Ut pictura poesis des Latins, la formule ambiguë qui régit pendant près de deux mille ans les relations entre peinture et littérature, retrouve ici une forme modernisée : la peinture, même quand elle a réduit ses moyens aux magmas terreux de Kiefer ou aux gribouillages de Twombly, appartient à la haute culture et participe à son histoire. Cependant, là où peu inspiré, voire poussif, ne gardant que la démonstrativité d’un tableau d’école, le grand ensemble de Kiefer rate sa cible, l’œuvre de Twombly installe ce dialogue de manière plus convaincante, entretenant un rapport très singulier entre grand art et économie de moyens.
L’exposition consacrée à Twombly propose donc un parcours rétrospectif au travers de toute l’œuvre, limité seulement par le parti pris du dessin, cabinet d’art graphique oblige. Mais l’œuvre ne s’en laisse pas conter par le distinguo du musée : avec Twombly, peinture et dessin sont de toute manière étroitement conciliés dès les premières années de travail, au tout début des années 1950 (ses premières expositions personnelles ont lieu à Chicago et à New York en 1951), dans une indifférence aux contraintes académiques européennes qui n’étonne guère chez un Américain passé par le Black Mountain College.
1953 : ce sont les œuvres les plus anciennes du parcours, monotypes à la peinture noire qui évoquent, comme le rappelle dans sa contribution au catalogue l’un des commissaires, Jonas Storsve, le graffito sur son versant le plus trivial, venu du banc public voire des murs de latrines (tels ceux qui ont retenu l’objectif de Brassaï). Ces premières pièces condensent déjà l’équation unique de maladresse et de maîtrise qui traverse tout Twombly et le fait rencontrer Dubuffet et les écritures rudimentaires des enfants et de l’art brut. Mais, au lieu de faire de ce choix un déni de culture, le peintre américain choisit bientôt de vivre à Rome (1957) et d’habiter l’histoire culturelle de l’Europe. Exclusivement sur ou avec du papier, mais avec de la peinture, de l’écriture, des collages, du dessin, des schémas, des notes et des bribes, l’exposition rend compte des moments de cinquante années de travail par petits groupes d’œuvres, qui frisent parfois l’effet d’échantillonnage – effet sensible pour les périodes les plus récentes, où peinture et couleur, souvent en matière, ont un aspect très « Monet », y compris dans le principe de série.
Pourtant, l’exposition doit beaucoup à l’artiste, qui a précisément travaillé au choix des œuvres pour une manifestation conçue lors de son étape initiale au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Les formats demeurent modestes (1,50 m pour les plus grands), limite due au parti pris du dessin, qui laisse du coup de côté la force des grands formats et des polyptyques que l’exposition de 1988 au Centre Pompidou, elle, manifestait clairement. Mais demeure entière l’énergie du travail, rendue sensible par la prolifération des signes – des plus organiques (sexes, cœurs, fleurs) aux plus graphiques (schémas, diagrammes, algorithmes) –, par les relations de tension entre les fragments rapportés dans la surface des dessins sur ces pages où s’écrit un monde chaotique et fragile fait de mythes et de phantasmes, par la pulsation colorée de la matière peinte, rythmique et florale, qui s’affirme entre catastrophe et délice.
Jusqu’au 29 mars, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, Musée national d’art moderne, galerie d’art graphique et galerie du musée, niveau 4. Catalogue coédité par le Centre Pompidou et les éditions Gallimard, 176 p., 110 ill, 34,90 euros.
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Cy Twombly, dessins de textes et de peintures
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°187 du 20 février 2004, avec le titre suivant : Dessins de textes et de peintures