PARIS
Le Turner Prize 2003 milite pour que l’homme tempère sa virilité au profit de sa part féminine. Un propos mis en scène à la Monnaie de Paris.
Paris. Écrivain en plus d’être céramiste et sculpteur, c’est naturellement que Grayson Perry (né en 1960 à Londres), aidé de la commissaire Lucia Pesapane, a divisé son exposition intitulée « Vanité, identité, sexualité » et présentée à la Monnaie de Paris en dix chapitres. « Sexualité », « Divinité », « Masculinité »… offrent un exposé méthodique, nourri de céramiques émaillées et de tapisseries générées par ordinateur, en laine, coton et soie.
Il faut lire à travers ce découpage studieux le portrait d’un artiste dont l’œuvre épouse le mode de vie. Cet homme qui milite pour l’égalité des sexes se travestit en « Claire », son alter ego au maquillage appuyé vêtu de robes aux couleurs criardes, et dont la lecture anthropologique infuse toutes les pièces. Des pièces qui sont autant de manifestes pour l’élaboration et la théorisation d’un nouveau genre masculin.
L’exposition donne à voir une représentation de la femme et de l’homme bien connue qui court sur la petite dizaine de tapisseries aux dimensions imposantes : l’homme est un parangon du pouvoir, il possède argent, grosses motos et fait de la boxe. Grayson Perry n’a pas peur de verser dans les clichés pour mieux déconditionner le regard. C’est ce que sa céramique en forme de phallus clame. Sur ces vases se déploie l’image de billets de 500 euros, de montres, de pénis et de voitures. Si Grayson Perry avait choisi de représenter en vis-à-vis des femmes qui brodent et s’affairent en cuisine, le propos serait creux. Or, et c’est ici toute la force de l’exposition, Grayson Perry innove en mettant en place une forme de militantisme bien particulier qui vise à libérer l’homme en déconstruisant le mythe de la virilité. Un féminisme théorisé récemment par la philosophe Olivia Gazalé qui affirme que les hommes seraient depuis toujours victimes de leur injonction au pouvoir et à la toute-puissance. Décentrement majeur dans la représentation classique des études de genre.
Ses céramiques crient toutes le besoin de libérer l’homme de ses carcans et de l’image que la société lui assigne. L’artiste plaide pour un nouvel homme qui puisse exprimer ses sentiments, être doux et porter des robes. Trouver son chemin, à l’instar de son couple de sculptures en fonte. Our Mother (2009) et Our Father (2007) évoquent ainsi un homme et une femme en quête de sens, qui croulent sous le poids de leurs attributs. « [Ils représentent] chacun de nous sur le chemin de notre vie », a pu dire l’artiste. Faisant observer que la femme « porte plus de bagages que l’homme ».
Perry affirme que l’homme aurait tout intérêt à s’inspirer de la femme. C’est ce qu’il a fait lui-même. Perry a commencé à se travestir à l’âge de 12 ans. Il se maquille et épouse les traits de la féminité jusqu’aux ongles,. Cela n’a rien d’une performance, c’est l’expression de cette nouvelle masculinité distillée dans sa pratique. Ici réside le cœur théorique de cette intelligente exposition : ce ne sont pas les femmes qui seules doivent militer mais bien les hommes en les prenant pour modèle.
Ce nouveau paradigme, Perry l’a assorti d’une figure métaphorique, celle de son nounours Alan Measles, qui traverse l’exposition et a fait pour lui office de père et de Dieu. Cette boussole devrait selon lui servir de repère à toute la communauté masculine. « Les hommes devraient pouvoir parler de leurs sentiments et porter du rose », revendique-t-il. Sa moto, rose, sur laquelle est écrit « Patience », l’illustre à merveille.
L’exposition, au fort pouvoir narratif, ses tapisseries et céramiques empruntant beaucoup à l’art bédéiste, installe un nouvel ordre organisé avec sa divinité (le Dieu-nounours) et une chapelle qu’il a fait construire dans l’Essex, en Grande-Bretagne. Une chapelle séculière où le genre masculin revisité aurait toute sa place.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°511 du 16 novembre 2018, avec le titre suivant : Grayson Perry ou la nouvelle masculinité