La réputation sulfureuse des Borgia a beaucoup inspiré la littérature et le cinéma. Le Musée Maillol livre un regard différent en mettant en avant les chefs-d’œuvre de leur époque.
PARIS - Petit morceau d’Italie égaré au cœur du 7e arrondissement de Paris, le Musée Maillol continue d’explorer les grandes heures de la péninsule transalpine. Après Venise, les Étrusques ou les Trésors de Naples, c’est au tour de la dynastie des Borgia de faire l’objet d’une relecture historique et esthétique. Des Atrides assoiffés d’incestes, de meurtres et de corruptions, telle est l’image apocalyptique colportée depuis des siècles par les écrivains (de Victor Hugo à Alexandre Dumas), avant que le cinéma, la télévision et la bande dessinée ne s’emparent à leur tour de cette famille monstrueuse à souhait. C’est manifestement pour donner à voir physiquement cette galerie de personnages hauts en couleurs que Patrizia Nitti, la directrice artistique du musée, a conçu cette exposition ponctuée de prêts exceptionnels. Loin des caricatures et des clichés, le parcours introduit d’emblée le visiteur dans l’ambiance intellectuelle et artistique qui vit éclore cette dynastie de papes et d’hommes d’État dont l’influence sur les institutions italiennes sera considérable.
Le nom de cette famille de petite noblesse apparaît dans les archives de la ville de Valence, en Espagne, au XIIIe siècle. C’est grâce à Alphonse Borgia, homme d’une intelligence exceptionnelle, que la dynastie va connaître ses premières heures de gloire. Devenu rapidement conseiller juridique des rois d’Aragon, ce dernier finira par se hisser au rang de pape sous le nom de Calixte III. L’ascension de ses descendants sera à la mesure de ses ambitions… Son neveu Rodrigo entreprend ainsi, sur ses conseils, des études de droit à Bologne : ce sera, là encore, la porte ouverte vers la papauté et l’installation d’un système d’alliances propres à installer son pouvoir dans la durée. « Le terme même de népotisme est né sous les Borgia », aime à souligner Patrizia Nitti qui nous rappelle combien Rodrigo – plus connu sous son nom de pape Alexandre VI – n’aura de cesse de porter au pouvoir ses propres enfants et ses neveux.
Un mythe fascinant
Faisant fi de la distinction entre domaine public et domaine privé, pouvoir temporel et spirituel, les Borgia confisqueront ainsi honneurs et richesses au fil des décennies. Fruit des amours de Rodrigo avec Vannozza Cattanei, naissent ainsi quatre enfants dont la postérité traversera, de façon inégale, les siècles : César, qui inspirera Machiavel pour son célèbre ouvrage Le Prince, Giovanni, Goffredo, et bien sûr… la belle et sulfureuse Lucrèce ! Si l’on excepte Cléopâtre, peu de figures historiques ont distillé un tel pouvoir de fascination vénéneuse. Conservé au Musée des beaux-arts de Nîmes, un portrait d’après Bartolomeo Veneto doucherait pourtant les fantasmes tant la séductrice montre, ici, un visage alourdi et revêche. On lui préférera sans aucun doute sa version idéalisée sous les traits de Flora : des yeux au regard intense, une bouche menue, un teint diaphane et de longs cheveux blonds en font presque une allégorie de la pureté et de la sagesse ! La pauvre Lucrèce cristallisera pourtant, à elle seule, toute la haine attachée au nom de sa famille. « Élevée à une époque et dans une cour où les intrigues et les poisons étaient des instruments quotidiens de l’exercice du pouvoir, mariée à trois reprises, sœur d’un assassin qui la rendit veuve, soupçonnée de relations incestueuses avec son père » (comme l’écrit Massimo Miglio dans le catalogue), elle ne fut pourtant pas seulement ce « monstre » vilipendé par la littérature. Érudite et talentueuse, la jeune femme connaissait ainsi les classiques grecs et latins, savait chanter et jouer de plusieurs instruments et attira à la cour du duché de Ferrare la fine fleur des artistes et des poètes, dont le peintre Titien…
Sur fond de guerres de religions et d’innovations techniques, féroce et sublime apparaît donc la longue histoire des Borgia exposée au Musée Maillol. On y croise des personnages aussi célèbres que Léonard de Vinci, Erasme, Savonarole et Luther. On y admire des chefs-d’œuvre signés Verrocchio, Bellini ou Mantegna. Pour clore ce parcours d’exception, une petite Pietà en terre cuite mérite, à elle seule, le déplacement. D’une intensité dramatique et d’une facture nerveuse, l’œuvre vient tout juste d’être attribuée, après restauration, à Michel-Ange en personne. Le débat scientifique demeure néanmoins ouvert…
Directrice du projet : Patrizia Nitti
Commissaire de l’exposition : Claudio Strinati
Scénographe : Hubert Le Gall
Nombre d’œuvres : 73
Jusqu’au 15 février 2015, Musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, 75007 Paris, tlj 10h30-19h, vendredi 10h30-21h30. Tel 01 42 22 59 58, catalogue coédition Musée Maillol/Éditions Gallimard, 192 pages, 35 €.
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Féroce et sublime, la saga des Borgia
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Lire la notice d'ALLOEXPO sur l'exposition « De Léonard de Vinci à Michel-Ange, les Borgia et leur temps »
Légende Photo :
Attribué à Michel-Ange, Pieta, dernière décennie du XVe siècle, terre cuite, 45 x 58 cm, collection particulière. © Photo : D.R.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : Féroce et sublime, la saga des Borgia