LYON
À l’issue d’une résidence, le photographe offre un dialogue très fin avec les collections du Musée des beaux-arts, et avec l’histoire de l’art plus largement.
Lyon. Tout a commencé par l’invitation faite par Sylvie Ramond à Anne-Marie et Marc Robelin de concevoir une exposition à partir de leur collection. « Ils acceptèrent mais à condition qu’en regard de leur exposition au Musée d’art contemporain, un artiste contemporain bien représenté dans leur collection soit montré au Musée des beaux-arts », explique la directrice du pôle des musées d’art (MBA/MAC) de Lyon. « Éric Poitevin s’est ainsi imposé et une carte blanche lui a été proposée pour un dialogue avec les collections du MBA. » De cette résidence de deux ans, la première dans l’histoire de l’établissement, est née une exposition d’une grande finesse dans ce dialogue que le photographe instaure entre les œuvres choisies dans les collections et les séries qu’il a déjà produites, peu montrées ou créées dans cette perspective. Ces séries inédites sont particulièrement remarquables dans leur dépouillement.
À commencer par ces « Voiles de visée » [voir ill.], du nom de ce tissu utilisé lors d’une prise de vue à la chambre, et dont le photographe décline, sur fond blanc et lumière du jour, les différents plis et formes qu’il peut prendre une fois posé sur un des socles de son studio photo. Point de départ du parcours, cette série conçue en référence à l’exposition « Drapé » du Musée des beaux-arts de Lyon, en 2019-2020, donne le ton. Les « Voiles de visée » sont associés à la sculpture d’un pleurant du XVe siècle et à deux photos du XIXe siècle montrant un homme et une femme devant leur chambre photographique. Sont ainsi rappelés deux fondamentaux indissociables dans le processus de création d’Éric Poitevin : son dialogue constant avec l’histoire de la photographie et l’histoire de l’art ; son travail à la chambre. Un processus créatif mis en place déjà dans la série des « Anciens combattants » : ensemble de cent portraits de vétérans de la guerre 1914-1918 que l’on peut voir dans l’exposition consacrée à la collection Robelin au Musée d’art contemporain de Lyon, accompagné d’un grand format de sous-bois de la forêt de Verdun. « Carte blanche, résidences ou expositions offrent des conditions qui me permettent de faire des choses auxquelles je n’aurais jamais pensé », explique Poitevin devant la série de photographies en noir et blanc réalisées à l’échelle 1/1 du Saint François d’Assise momifié debout peint par Francisco de Zurbarán. Les variations dans le tirage – des images volontairement sous-exposée pour l’une, surexposée pour l’autre – sont mises en regard du célèbre portrait conservé par le musée, dans une allusion à l’invention de la photographie qui permit la reproduction d’œuvres d’art et une diffusion de masse de ces images.
De sa découverte des collections et des réserves du musée, d’autres nouvelles séries ont vu le jour telle celle sur les chants de tableaux, aux minces tranches sur fond blanc que l’artiste relie à l’importance qu’eut pour lui le minimalisme américain. On retrouve cette rigueur et cette simplicité dans la composition sur fond blanc et lumière du jour de ses photographies antérieures d’animaux ou d’oiseaux morts auxquelles l’exposition fait une jolie place, ou encore dans cette série de plantes sèches entreprise entre 2014 et 2021, comme dans cet ensemble inédit de roseaux isolés, de toute beauté, écho à ses séries liées au paysage, à son environnement proche.
Si Éric Poitevin refuse le terme de rétrospective pour cette exposition, celle-ci dresse pourtant un panorama de son œuvre balayant tous les genres (portrait, paysage, nature morte ou vanité), et un portrait en creux du photographe qu’il est. Avec, en contrepoint dans chaque salle, une ou deux pièces issues des collections du musée qu’il a choisies, dont certaines sont montrées pour la première fois comme ces fusains sur papier d’Auguste Pointelin (1839-1933), « peintre jurassien découvert lors d’une exposition à Dôle dans les années 1980 et dont les paysages proches de l’abstraction m’ont marqué », dit-il.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°589 du 13 mai 2022, avec le titre suivant : Éric Poitevin en immersion